Les praticiens de la propriété intellectuelle connaissent bien les difficultés posées par l’article L. 113-9 du code de la propriété intellectuelle.
Le texte vise, en effet, les droits des employés ou des agents publics, sur le logiciel mais ne dit rien de la situation du stagiaire, du mandataire social ou du doctorant contractuel. Dans tous ces cas, il était important de prévoir une clause de cession des droits sur la création. Ou alors de plaider l’œuvre collective, ce qui n’est jamais facile. Le juge avait eu l’occasion de rappeler que l’employé visé au texte est exclusivement le salarié, « personne employée dans une entreprise »1. Cela ne concerne pas le cas du stagiaire2.
L’article 113-9-1 introduit dans le code de la propriété intellectuelle par l’Ordonnance n°2021-1658 du 15 décembre 20213 semble donc tout à fait opportun puisqu’il apporte d’utiles compléments au régime « général » de l’article 113-94. Encore faut-il savoir lire entre les lignes cette nouvelle disposition.
Ce nouveau texte aujourd’hui en vigueur dispose : « Sauf stipulations contraires, lorsque des personnes qui ne relèvent pas de l’article L. 113-9 et qui sont accueillies dans le cadre d’une convention par une personne morale de droit privé ou de droit public réalisant de la recherche créent des logiciels dans l’exercice de leurs missions ou d’après les instructions de la structure d’accueil, leurs droits patrimoniaux sur ces logiciels et leur documentation sont dévolus à cette structure d’accueil, seule habilitée à les exercer, si elles se trouvent à l’égard de cette structure dans une situation où elles perçoivent une contrepartie et où elles sont placées sous l’autorité d’un responsable de ladite structure. Toute contestation sur l’application du présent article est soumise au tribunal judiciaire du siège social de la structure d’accueil ».
Quelles sont les personnes concernées par ce nouveau régime non impératif (le texte précise bien qu’il est possible de stipuler le contraire) ? Quelles sont les créations visées ? A quelles conditions les droits sont-ils dévolus à l’entreprise ou à l’établissement public ? Qui est compétent en cas de litige ?
Concernant les personnes, le texte souligne qu’il concerne les auteurs qui ne sont pas visées par l’article L. 113-9. Négativement cela exclut donc les employés , les agents de l’Etat, des collectivités publiques et des établissements publics à caractère administratif. Positivement cela peut concerner le cas du stagiaire d’une entreprise informatique, le doctorant contractuel dans une université, le mandataire social d’une société, le professeur émérite….
Du côté des personnes d’accueil qui vont se voir attribuer les droits sur le logiciel, l’article L. 113-9-1 vise les personnes morales privées et publiques qui réalisent des recherches. Cela peut regrouper aussi bien l’entreprise qui fait de la recherche développement, que celle qui assure des prestations informatiques. Des startups, comme des organismes de recherche plus établies. L’entité doit toutefois être dotée de la personne morale.
Cela ne sera pas le cas pour des entreprises individuelles ou les auto-entrepreneurs. Les personnes concernées par l’article L. 113-9-1 doivent avoir conclu avec l’entité d’accueil une convention de recherche. Celle-ci peut s’entendre d’une convention de stage, d’un contrat doctoral, d’une convention d’apprentissage… Une situation délicate peut découler des circonstances où un auteur salarié est détaché dans une autre entreprise.
À qui appartiendra le logiciel dans ces conditions. A l’entreprise avec laquelle le salarié est liée initialement ? À l’entité qui a conclu la convention de recherche dans le cadre du détachement ? Le mieux ici est d’organiser contractuellement les choses.
L’article L. 113-9-1 concerne le logiciel et sa documentation. Les œuvres de droit commun ne sont pas concernées par ce nouveau régime spécial. Elles restent en effet soumises à l’article L. 111-1 al. 3. Il en est de même pour d’autres œuvres spéciales comme les bases de données. Dit autrement le chercheur qui a conçu l’architecture d’une base de données dans le domaine statistique ou médical ne sera pas dépossédé de ses droits dans le silence du contrat. Les créations visées (le logiciel et sa documentation donc) seront réalisées dans l’exercice des missions ou d’après les instructions de la structure d’accueil. L’exercice des missions (un terme qui est plus précis que celui de fonction utilisé à l’article 113-95) fait ainsi penser aux inventions de missions du droit des brevets. La formule, sous les instructions, évoque quant à telle la direction du processus créatif propre à l’œuvre collective. L’on navigue ainsi entre vocabulaire du droit des brevets et du droit d’auteur.
La dévolution légale concerne les droits patrimoniaux et eux seuls. Les droits moraux ne sont pas en cause même si l’on sait qu’ils sont fortement réduits en matière de logiciel6. Cette dévolution légale (les droits étaient bien nés ab initio dans le patrimoine des auteurs) se réalise à deux conditions cumulatives. Il faut être placé, tout d’abord, sous l’autorité d’un responsable de la structure. Celui-ci sera ainsi doté d’un pouvoir de sanction du créateur du logiciel. La dévolution est ensuite et surtout soumise à l’existence d’une contrepartie. Le lecteur aura bien compris que cette contrepartie n’est pas nécessairement financière. Il peut, en effet, s’agit d’un avantage quelconque. Le stagiaire dans un cabinet d’avocat, par exemple, pourrait se voir prolonger de 6 mois à l’issue de son stage, l’accès à une base de données juridiques payante. Mais peut-être est-il préférable de stipuler une rémunération pour éviter toute discussion sur la réalité de cette contrepartie.
In fine le texte précise que « toute contestation sur l’application du présent article est soumise au tribunal judiciaire du siège social de la structure d’accueil ». Encore faut-il préciser que ce tribunal judiciaire fasse bien partie des tribunaux judiciaires compétents en matière de droit d’auteur et de droits voisins. Si la structure d’accueil de recherche se trouve à Grenoble, le litige sera réglé à Lyon et non en Isère ; Grenoble ne faisant pas partie des tribunaux judiciaires compétents en matière de propriété littéraire et artistique.
L’ordonnance du 15 décembre 2021 est donc utile pour autant que l’on sache interpréter les dispositions qu’elle contient. Elle procède d’une réforme des petits pas en matière de créations des salariés et des agents publics. Le principe général de l’article L. 111-1 al. 3 n’est pas atteint mais il est fortement déconstruit au fil du temps par le jeu de dévolutions légales, de présomptions de cession…A quand l’alignement général sur le système des brevets ?
1 Versailles, 14e ch., 15 juin 1992 : JCP E 1993, I, 246, n° 5, obs. Vivant et Lucas
2 Cass. crim., 27 mai 2008, F-D : D. 2009, pan. p. 1994, obs. Le Stanc ; RLDI oct. 2008, n° 1377, obs. Trézéguet ; Propr. ind. 2008, comm. 90, note Larrieu ; JurisData n° 2008-044594
3 L’ordonnance introduit également un article 611-7-1 sur la partie brevet que nous ne commenterons pas. Les difficultés avec le stagiaire inventeur ont été encore plus grandes qu’en matière de droit d’auteur. Voir notamment (car la saga fut longue) Cass. com., 25 avr. 2006, CNRS : JCP G 2006, I, 162, § 22, obs. Caron ; JCP E 2006, 1 06 ; D. 2006, act. jurispr. p. 1287, obs. Daleau ; Propr. intell. 2006, n° 20, p. 349, obs. Warusfel ; PIBD 2006, 833, III, 59 ; Comm. com. électr. 2006, comm. 91, note Caron), est cassé l’arrêt ayant admis qu’un stagiaire, travaillant dans un laboratoire du CNRS et soumis au règlement intérieur de celui-ci qui prévoit que les brevets et connaissances seront la propriété du CNRS, ne pouvait prétendre à des droits sur l’invention réalisée par le labo lors de son stage
4 Un général bien spécial si on le compare à l’article L. 111-1 al. 3
5 L’on peut être investi d’une fonction générale et se voir assigner une mission particulière
6 Seul persiste en réalité le droit de paternité. Comme en matière de brevet.