Le 14 avril 2025, les Émirats arabes unis (EAU) ont franchi une étape juridique inédite en validant, par décision de leur Cabinet ministériel, la création d’un Bureau de l’intelligence réglementaire et le déploiement du premier écosystème législatif alimenté par intelligence artificielle (IA) à l’échelle nationale. Cette innovation normative suscite à la fois fascination et interrogations quant à sa portée juridique, sa légitimité démocratique et ses répercussions potentielles pour les autres systèmes de droit.
Nous proposons ici une analyse synthétique de cette initiative, articulée autour de quatre axes : le contexte institutionnel de la décision, les éléments structurants du dispositif, la portée juridique du système, et les enjeux éthiques et comparatistes qu’il soulève.
La décision a été adoptée le 14 avril 2025 par le Cabinet des ministres des Émirats arabes unis, réuni au Qasr Al Watan, sous la présidence de Son Altesse le Cheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum, Vice-Président, Premier ministre des EAU et Souverain de Dubaï.
Cette mesure s’inscrit dans une stratégie étatique plus large de transformation numérique du droit, dans laquelle l’intelligence artificielle occupe une place croissante depuis la nomination d’un ministre délégué à l’IA dès 2017¹.
Dans une communication officielle, publiée sur le réseau X (anciennement Twitter), le Cheikh Mohammed déclarait :
« Ce nouveau système législatif, alimenté par l’intelligence artificielle, changera la manière dont nous créons les lois, rendant le processus plus rapide et plus précis. »²
Le texte adopté crée, au sein du Secrétariat général du gouvernement, un Bureau de l’intelligence réglementaire, chargé de superviser l’élaboration, la mise à jour et l’évaluation des normes juridiques à l’aide de systèmes d’IA.
Le système repose sur plusieurs piliers techniques et juridiques :
Ce dispositif est conçu comme un appui à la décision humaine : il ne remplace pas les institutions politiques, mais leur fournit un appui technique et prédictif³.
L’objectif proclamé du système est de réduire de 70 % le temps d’élaboration des lois, d’améliorer leur qualité normative et d’aligner le droit émirien sur les meilleures pratiques internationales⁴. Le Bureau est également chargé de proposer des ajustements continus de la législation, à partir des évolutions contextuelles et statistiques observées dans la société.
Cependant, du point de vue strictement juridique, le pouvoir normatif demeure formellement aux mains du législateur. Aucune délégation législative au bénéfice de l’IA n’a été consacrée par la Constitution ou un texte de niveau supérieur. L’IA joue donc un rôle de suggesteur de droit, non de producteur normatif autonome.
Cette initiative inédite pose de nombreuses questions au regard des modèles juridiques occidentaux, notamment de tradition romano-germanique :
Il convient, enfin, de rappeler que l’IA n’est pas neutre. Son entraînement, ses sources de données, ses biais implicites peuvent influencer la production normative. Une vigilance éthique s’impose pour que l’efficacité algorithmique ne l’emporte jamais sur la garantie des droits fondamentaux⁵.
Les Émirats arabes unis expérimentent une innovation sans précédent : faire de l’intelligence artificielle un co-acteur de la fabrique du droit. Si cette initiative peut inspirer certains aspects de modernisation, elle invite surtout les juristes à rester lucides sur les conditions d’un usage responsable, éthique et démocratiquement encadré des outils algorithmiques dans la production normative.
¹ Gulf News, “UAE names Omar bin Sultan Al Olama as Minister of Artificial Intelligence”, 2017.
² Déclaration officielle de Mohammed bin Rashid Al Maktoum, publiée sur X, 14 avril 2025, citée par Middle East AI News.
³ ZME Science, « UAE to use AI for law-making and governance », avril 2025.
⁴ The Finance World, « UAE Cabinet Approves AI-Driven Regulatory Intelligence Ecosystem », 14 avril 2025.
⁵ CIO.com, « When AI Writes the Laws: UAE’s Bold Move Forces a Rethink on Compliance and Human Touch », 22 avril 2025.