Encore une affaire illustrant l’impasse dans laquelle se situe la copie privée en France aujourd’hui, au sujet des fameuses tablettes « I-Pad » d’APPLE.
Le 12 janvier 2011, la Commission chargée de fixer les barèmes de rémunération pour copie privée en application de l’article L.331-1 du Code de la propriété intellectuelle a pris une décision, dite n°13, soumettant les tablettes tactiles à cette rémunération. Les barèmes retenus étaient les mêmes que ceux fixés dans une décision n°11 relative aux téléphones mobiles annulée par le Conseil D’État dans un arrêt du 17 juin 2011 au motif qu’elle ne tenait pas compte des usages illicites et professionnels (cf arrêt CJUE « Padawan » du 21 octobre 2010).
APPLE a bien collecté auprès des consommateurs la rémunération fixée par la décision n°13 à l’occasion de la vente de ses « I-Pad », mais conteste devoir la reverser à la société de gestion collective COPIE FRANCE au motif de l’illicéité de cette créance. Elle soutient en effet que la décision n°13 est affectée du même vice que la décision n°11 annulée, et a d’ailleurs saisi le Conseil D’État d’une requête en annulation de cette décision. APPLE a donc assigné COPIE FRANCE devant le juge judiciaire pour lui demander de juger qu’elle n’était pas débitrice de cette créance présentée comme illicite, et subsidiairement de prononcer un sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt sur son recours en annulation de la décision n°13.
Dans son jugement du 30 mai dernier, le Tribunal de Grande Instance de Paris admet l’existence d’un doute sérieux sur la licéité de la décision n°13 et décide de surseoir à statuer dans l’attente de l’arrêt du Conseil d’État. Mais il considère néanmoins que la décision litigieuse est exécutoire tant qu’elle n’est pas annulée. Par ailleurs, il relève que l’existence d’une créance de COPIE FRANCE à l’égard d’Apple est établie dans la mesure où l’éventuelle annulation de la décision n°13 ne remet pas en cause le principe même de la rémunération pour copie privée au vu des normes supérieures, notamment l’article L331-1 précité. La décision n°13 est selon les magistrats « une simple modalité pratique de mise en œuvre de ce principe » conforme au droit national et communautaire. Le Tribunal condamne donc APPLE à verser à COPIE FRANCE une somme de 5 millions €, sous le bénéfice de l’exécution provisoire.
Toutefois, l’affaire n’est pas terminée : il reste au conseil d’État à se prononcer sur la légalité du barème appliqué, puis au juge judiciaire à en tirer les conséquences. De jolis débats en perspective : hiérarchie des normes, non-rétroctivité de la décision d’annulation, répétition de l’indu…
La copie privée est aujourd’hui plongée dans un abime de complexité qui la rend injuste et improductive. Le rapport Lescure le souligne, sans pour autant proposer de solution miracle.