Avec 348 voix contre 274, le Parlement européen a adopté mardi 26 mars 2019 la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique.
Il s’agit par ce texte de réviser notre législation européenne sur le droit d’auteur en considération de l’évolution des technologies. En effet, depuis la directive 2001/29/CE transposée en droit interne par la loi du 1er août 2006 (dite « loi DADVSI »), sont apparues les plateformes en ligne, les réseaux sociaux, qui ont bousculé les modes de consommation des contenus protégés. Cette directive avait donc pour but de faire évoluer les textes dans le sens d’une plus grande protection des auteurs et des artistes. Les acteurs du numérique ont toutefois dénoncé la fin d’un Internet libre et voient cette directive comme un frein à l’économie créative de l’Europe.
Ce texte est donc le fruit d’un épineux compromis opposant les plateformes aux créateurs.
Attardons nous sur les deux dispositions phares de cette directive qui ont tant cristallisé les débats : les articles 15 et 17 (anciennement 11 et 13).
L’article 17 (anciennement article 13) de la directive prévoit une obligation pour les plateformes en ligne de conclure des accords avec les titulaires de droits, notamment les organismes de gestion collective (SACEM, SACD, SCAM etc.) à défaut de quoi elles devront retirer rapidement les contenus spécifiquement signalés.
Aucune mesure de filtrage automatique n’est donc exigée et les décisions de blocage ou de retrait des contenus signalés devront être contrôlées par une personne physique.
Il apparaissait en effet difficile voire impossible pour les plateformes de demander, pour chaque contenu, l’autorisation des ayants droit, surtout quand on sait que 400 heures de vidéos sont mises en ligne chaque minute sur YouTube.
Comme nous l’écrivions dans une récente brève relative à la présentation du plan d’action visant à lutter contre les contenus haineux en ligne[1], les plateformes en ligne, qui bénéficient actuellement d’un régime de responsabilité atténuée, voient leurs obligations s’alourdir et c’est tout l’équilibre de la LCEN[2] qui est remis en cause : les hébergeurs deviennent responsables en dehors même de tout rôle actif.
En effet, les plateformes ne pourront plus arguer de leur statut d’hébergeur pour ne pas effectuer de contrôle a priori, ce qui présente un risque de « sur-blocage » des contenus car les plateformes ne voudront certainement pas prendre le risque d’être condamnées par la suite s’il s’avère que ledit contenu est réellement illicite.
Toutefois, toutes les plateformes ne sont pas concernées et la directive exonère, d’une part, les structures qui ont moins de 3 ans et qui génèrent un chiffre d’affaires annuel inférieur à 10 millions d’euros et, d’autre part, les encyclopédies à but non lucratif, les places de marché, les plateformes de développement et de partage de logiciels en open source, les services individuels de stockage ou encore les répertoires à caractère scientifique ou éducatif. Le champ d’application du texte n’est donc pas d’une grande clarté.
Si la directive ne remet pas en question la liste des exceptions aux droits d’auteur, les mèmes et GIF posent un réel problème. En effet, il est possible de publier une œuvre protégée à des fins de parodie ou de caricature sans tomber sous le coup de la contrefaçon. Or, les algorithmes mis en place par les plateformes seront-ils à « même » de discerner le caractère humoristique des contenus, ou plus généralement que l’exception est constituée ?
L’article 15 (anciennement 11) de la directive instaure un droit voisin pour les éditeurs de presse afin d’assurer une meilleure protection des contenus journalistiques et ainsi faire face à l’apparition des nouveaux acteurs du numérique qui impactent la chaîne de valeur de la presse. Sont visées les pratiques dites de « crawling » ou d’indexation qui ont pour conséquence d’augmenter le flux de visites, non pas du site de l’éditeur des contenus, mais des plateformes.
Les plateformes seront désormais tenues de rémunérer les éditeurs de presse dont elles exploitent les contenus même en cas de publication de courts extraits (« Snippets »). Il s’agit d’une victoire pour les éditeurs de presse qui voient leurs investissements récompensés à l’instar des producteurs de vidéogrammes ou de phonogrammes. Reste à voir quelles seront les modalités de calcul retenues pour fixer la rémunération, ainsi que les modalités de conclusion des accords.
Si le texte prévoyait initialement une durée maximum d’un an, il semblerait que la version adoptée ait imposé un délai de deux ans.
En attendant, la France a pris de l’avance puisque le Sénat a adopté le 24 janvier dernier la proposition de loi visant à créer un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse.
À suivre …