La loi du 1er mars 2017 a consacré à l’article L.222-2-10-1 du Code du sport1 la possibilité pour les clubs de conclure avec les joueurs et entraineurs qu’ils emploient un contrat d’exploitation de certains attributs de la personnalité2, en plus du contrat de travail ; la rémunération tirée de l’utilisation de ces attributs étant exonérée de charges sociales à des conditions bien précises. Retour sur ce dispositif peu commenté3 avec quelques considérations pratiques et réflexions plus fondamentales.
L’article L.222-2-10-1 doit bien évidemment être lu à la lumière du droit à l’image collectif abrogé par la loi de finance de 2010. Ce droit, créé en 2005, permettait une rémunération du droit à l’image collectif (l’image du sportif associée au club) limitée à 30% du salaire du joueur.
Cette rémunération, devenue forfaitaire, a été souvent pratiquée sans la moindre exploitation de l’image de la part des clubs. Une tentation trop grande pour l’URSSAF de requalifier ces sommes en salaires qui a conduit à l’abandon du système.
Le but de ce droit l’image collectif, comme du nouveau dispositif institué par la loi du 1er mars 2017, est parfaitement louable : permettre aux clubs français d’être plus attrayants que les clubs étrangers en rémunérant mieux les joueurs (et entraineurs) libres de circuler, d’associations sportives en associations sportives depuis le fameux arrêt Bosman4. Il suffit de songer ici à la situation très avantageuse des clubs de football anglais pour mesurer l’enjeu du débat.
L’article L.222-2-10-1 doit également être lu à la lumière des articles L.7121-8 et L.7123-6 du Code du travail concernant la rémunération de l’image des mannequins car le législateur s’est profondément inspiré de ces dispositions pour encadrer les attributs de la notoriété des sportifs. Mannequins et sportifs semblent ainsi logés à la même enseigne5.
Notre propos n’est pas ici d’évaluer l’impact économique de ce dispositif juridique. Il dépendra en grande partie de la hauteur du plafond de la part exonérée qui devrait être déterminée par décret d’application et accords collectifs. Nous nous contenterons de faire part de quelques considérations pratiques et réflexions plus fondamentales sur ce nouveau texte.
Qu’implique le nouveau mécanisme pour les associations et sociétés sportives, d’une part, et les joueurs et entraineurs, d’autre part ?
Pour les premiers, il est évident que la conclusion des contrats d’exploitation de la notoriété dépend de la mise en place d’un mode de promotion de la gestion des droits de l’image, de la voix, et du nom par les clubs. Il ne suffit pas, en effet, de verser ces droits, il faut les percevoir. Pour cela des structures doivent être mises en place à l’intérieur ou à l’extérieur des clubs (en sollicitant par exemple des agents d’image). Les contrats sont gouvernés par les principes du formalisme des contrats d’auteur. Les parties doivent ainsi déterminer les modes d’exploitations des attributs, les supports…
Cela nécessite bien évidemment une réflexion en amont sur les utilités économiques des droits de notoriété des joueurs ou des entraineurs. La manière d’organiser les cessions doit par ailleurs s’inspirer des solutions rendues par le juge à propos de l’image des mannequins puisque nous avons vu que les dispositions étaient quasi similaires.
La jurisprudence de la chambre sociale et de la seconde chambre civile de la Cour de cassation, que nous avons critiquée avec Laurent Carrié6, semble être aujourd’hui assouplie par les juges du fond. Il a été ainsi jugé, par la Cour d’appel de Paris le 9 février 20177 que les sommes forfaitaires versées par une agence de mannequin à un mannequin pour l’exploitation de son image qui étaient fixées à l’avance selon un barème dit ventilé (c’est à dire selon le type du support et la durée de la cession) et qui étaient versées, à la première diffusion de l’image, pour chaque mode d’exploitation, étaient des redevances.
Pour les joueurs et entraineurs, la principale difficulté est de savoir s’ils ont intérêt ou non à céder leurs droits de notoriété et comment ils vont articuler cette nouvelle cession avec les précédentes.
Très souvent, notamment dans le monde du football, les joueurs créent une société à qui ils donnent mandat de gestion de leur droit à l’image. Ceci généralement afin de bénéficier d’une fiscalité plus avantageuse.
Ces mêmes joueurs, par ailleurs, peuvent avoir cédé certains de leurs attributs à des annonceurs, sponsors, agences… Faut-il maintenir ces anciens montages ? Résilier les vieilles conventions ? Accorder l’exclusivité aux clubs ? Toute une stratégie contractuelle est à déterminer.
La loi du 1er mars 2017 suscite également des réflexions plus fondamentales.
La première consiste à observer, une fois de plus, le mouvement de patrimonialisation des attributs dits de la personnalité. Pour sortir des difficultés que pose cette patrimonialisation (comment rendre compte d’un phénomène économique en sollicitant un texte, l’article 9 du code civil, porte-parole du droit à l’image, qui régule les droits de la personnalité extrapatrimoniaux ?), nous avons démontré qu’il serait nécessaire de consacrer une nouvelle catégorie de droit : les droits de la notoriété8, au demeurant déjà bien identifiés par le juge pour certaines prérogatives9.
La seconde observation repose la contradiction manifeste entre le droit à l’image de droit commun et le droit à l’image des sportifs encadré par cette loi du 1er mars 2017. Les contrats d’exploitation de l’image ne relèvent d’aucun formalisme propre aux contrats d’auteurs et sont soumis à la liberté contractuelle selon la première chambre civile de la Cour de cassation10.
Les conventions qui relèvent de la loi nouvelle sont, en revanche, soumis à un formalisme qui prend sa source dans l’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle. Deux poids, deux mesures difficiles à comprendre lorsque l’objet du droit est semblable.
1 Une association ou une société sportive mentionnée aux articles L.122-1 ou L.122-2 peut conclure avec un sportif ou un entraîneur professionnel qu'elle emploie un contrat relatif à l'exploitation commerciale de son image, de son nom ou de sa voix. Les sportifs et entraîneurs professionnels ne peuvent être regardés, dans l'exécution du contrat mentionné au premier alinéa du présent article, comme liés à l'association ou à la société sportive par un lien de subordination juridique caractéristique du contrat de travail, au sens des articles L.1221-1 et L.1221-3 du code du travail, et la redevance qui leur est versée au titre de ce contrat ne constitue ni un salaire ni une rémunération versée en contrepartie ou à l'occasion du travail, au sens de l'article L.242-1 du code de la sécurité sociale, dès lors que :
1° La présence physique des sportifs ou des entraîneurs professionnels n'est pas requise pour exploiter commercialement leur image, leur nom ou leur voix ;
2° La redevance des sportifs ou des entraîneurs professionnels n'est pas fonction du salaire reçu dans le cadre du contrat de travail mais fonction des recettes générées par cette exploitation commerciale de leur image, de leur nom ou de leur voix. Le contrat mentionné au premier alinéa du présent article précise, à peine de nullité :
a) L'étendue de l'exploitation commerciale de l'image, du nom ou de la voix du sportif ou de l'entraîneur professionnel, notamment la durée, l'objet, le contexte, les supports et la zone géographique de cette exploitation commerciale ;
b) Les modalités de calcul du montant de la redevance versée à ce titre, notamment en fonction des recettes générées par cette exploitation commerciale ;
c) Le plafond de la redevance susceptible d'être versée au sportif ou à l'entraîneur professionnel ainsi que la rémunération minimale au titre du contrat de travail à partir de laquelle le contrat mentionné au même premier alinéa peut être conclu par le sportif ou l'entraîneur professionnel tels que définis par la convention ou l'accord collectif national mentionné au dernier alinéa. L'association ou la société sportive transmet sans délai le contrat conclu en application du présent article à l'organisme mentionné à l'article L.132-2 du présent code. Un décret détermine les catégories de recettes générées par l'exploitation commerciale de l'image, du nom ou de la voix du sportif ou de l'entraîneur professionnel susceptibles de donner lieu au versement de la redevance. Une convention ou un accord collectif national, conclu par discipline, fixe le plafond de la redevance susceptible d'être versée au sportif ou à l'entraîneur professionnel ainsi que la rémunération minimale au titre du contrat de travail à partir de laquelle le contrat mentionné au premier alinéa peut être conclu par le sportif ou l'entraîneur professionnel.
2 L’image, le nom et la voix qui sont les attributs les plus patrimonialisés, à tel point que nous nous sommes demandés s’il n’était pas nécessaire de leur appliquer un régime propre : les droits de notoriété. Sur cette discussion Voir infra note n°8.
3 Voir toutefois l’excellent article de Ch Allan de Lavenne, "Droit à l’image des sportifs : avantages et inconvénients de la loi du 1er mars 2017", Légipresse, juin 2017 n°350, 340
4 CJCE 15 décembre 1995 Aff. C-415/93
5 Ce qui est en réalité beaucoup plus compliqué que cela voir ici F. Rizzo, "Les contrats de parrainage sportif et le mannequinat", La Semaine Juridique Édition Générale n° 24, 12 Juin 2017, doctr. 680
6 J.-M Bruguière et L. Carrié "Rémunération de l’image des mannequins : rétribution du travail et/ou exploitation de la notoriété ?", Com. com. électr. 2014 Étude 1
7 CA Paris 9 février 2017 n°13/11828
8 J.-M Bruguière "Droits patrimoniaux de la personnalité. Plaidoyer en faveur de leur intégration dans une catégorie des droits de notoriété", RTD civ 2016 p. 1
9 Le droit sur le nom, notamment
10 Voir notamment Cass. civ 1° 28 janvier 2010 n° de pourvoi : 08-70248