Nous attirons votre attention sur cette décision de la Cour d’appel de Paris du 22 septembre 20201 qui repousse toutes les prétentions de l’éditeur du célèbre quotidien La Voix du Nord en matière de propriété intellectuelle. Marques, droit d’auteur, concurrence déloyale et parasitisme économique, tout est ici rejeté. Preuve, s’il en était besoin, que les droits privatifs ou non privatifs (parasitisme économique notamment) ne doivent être invoqués qu’à bon escient, ce qui n’était manifestement pas le cas ici.
La société LA VOIX DU NORD est l’éditrice du quotidien papier La Voix du Nord, lequel est décliné en plusieurs éditions locales dans le Nord et le Pas-de-Calais et tiré chaque jour à près de 250.000 exemplaires, ainsi que du site internet associé www.lavoixdunord.fr. Elle est titulaire de la marque semi-figurative française « LA VOIX DU NORD » n°3577395 déposée le 26 mai 2008 sous laquelle elle publie ses éditions papier, pour désigner des produits et services en classes 16, 35, 38, 41.
Outre la publication de son journal papier, la société LA VOIX DU NORD propose sous cette marque son journal sur internet avec plusieurs déclinaisons, notamment des pages consacrées à la commune d’Hénin-Beaumont. La société LA VOIX DU NORD exploite aussi une page FACEBOOK dénommée « La Voix du Nord d’Hénin-Beaumont’ ».
Elle indique avoir découvert la création sur le réseau social internet FACEBOOK, d’une page intitulée « La Voie d’Hénin », sur laquelle ont été publiés des textes, entre les mois de décembre 2015 et novembre 2016, avec un logo reprenant une couleur bleue, avec la mention « Ré-informez-vous sur l’actualité d’Hénin-Beaumont ».
La société LA VOIX DU NORD précise avoir découvert ultérieurement que cette page est administrée par Christopher S, adjoint au maire d’Hénin-Beaumont, délégué à la jeunesse, à la culture et à la vie associative, le maire de la commune étant depuis 2014, Steeve B, vice-président du parti politique Front National devenu Rassemblement National.
La société LA VOIX DU NORD, estimant que cette publication, par la communication qui y est faite, lui a porté atteinte et lui a causé un préjudice, a assigné la commune d’Hénin-Beaumont et Christopher S devant le tribunal de grande instance de Paris en leur reprochant notamment des faits de contrefaçon de marque et de droit d’auteur, ou subsidiairement de parasitisme. Par jugement du 25 mai 2018, le tribunal de grande instance de Paris a débouté la société de toutes ses prétentions. La Cour d’appel confirme ici le jugement entrepris.
Après avoir rappelé l’arrêt C-206/01 Arsenal Football Club du 12 novembre 2002, selon lequel l’usage d’un signe a lieu dans la vie des affaires, dès lors qu’il se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant à un avantage économique et non dans le domaine privé, souligne que :
« la page FACEBOOK » litigieuse « ne contient pas de publicité commerciale, ni n’incite à participer à des opérations commerciales, et Monsieur S ne tire pas un avantage économique de son exploitation. Si elle relaie une opinion politique et contient des critiques à l’égard des opposants politiques au maire de la commune d’Hénin-Beaumont et au journal La Voix du Nord édité par l’appelante, cette page a été diffusée sur le réseau social FACEBOOK, elle est accessible gratuitement aux internautes et leur permet d’apporter les commentaires qu’ils souhaitent, et son absence de périodicité définie n’est pas contestée ».
Cette solution n’est en rien nouvelle.
Dans le jugement Plus belle la vie, le TGI de Paris le 28 novembre 2013, avait ordonné le rétablissement d’une la page FACEBOOK d’un fan de la célèbre série considérant que :
« le titulaire d’une marque est habilité à faire interdire l’usage d’un signe identique à la marque, lorsque cet usage se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant à un avantage économique et non dans le domaine privé »2.
En contrepoint, ce même TGI de Paris avait estimé le 25 septembre 20143 que l’usage du nom d’une discothèque sur une page Facebook servant de promotion professionnelle à un DJ constituait bien une utilisation dans la vie des affaires. En revanche, celui-ci ne visant pas les services de la marque mais l’établissement dans lequel il avait exercé son activité, le tribunal avait considéré qu’il ne faisait pas un usage de cette dénomination à titre de marque. L’entreprise doit donc s’interroger avant de demander la protection de sa marque sur les réseaux sociaux4. Toute action n’est pas nécessairement opportune et recevable.
Bredouille sur le terrain de la marque, l’éditeur de La voix du Nord faisait également valoir son droit d’auteur par suite de l’application de la présomption de titularité du fait de l’exploitation, sur des photographies5 et des contenus de presse repris par le défendeur sur sa page.
L’occasion est ici donnée à la Cour d’appel de Paris de rappeler quelque chose souvent perdu de vue : le droit d’auteur ne protège pas tout !
« Le recours à des effets de style rendant la lecture de l’article attractive pour le lecteur relève de la technique journalistique, mais n’est pas de nature à révéler l’expression de la sensibilité de son auteur, rapportant des informations objectives relatives à la vie locale dont il n’est ni prétendu ni justifié que leur articulation entre elle serait originale ».
Afin d’être plus concret, citons un exemple qui est développé dans l’arrêt :
« S’agissant de l’article Braderie : le jour d’après.., il s’agit d’un entrefilet portant sur les réactions locales à la suite de l’annonce de l’annulation de la braderie, et rapportant l’idée de créer un fonds local permettant aux associations de ne pas en supporter les conséquences financières. Les expressions qui y sont utilisées, si elles participent à donner un certain ton à l’article, relèvent d’une technique narrative et rapportent des données factuelles, de sorte qu’elles sont insusceptibles de révéler l’empreinte de la personnalité de l’auteur, ou un traitement personnel de l’information ».
L’on aura compris que ce contenu de presse n’est pas jugé protégeable parce qu’il était court (il s’agissait d’un entrefilet) mais également (car la brièveté n’est pas suffisante pour remettre en cause la protection) parce que la forme se réduisait au fond. Ce contenu de presse (et c’est là, une autre justification d’exclusion) mettait en œuvre avant tout un simple savoir-faire journalistique. De quelque manière que l’on raisonne, le droit d’auteur n’était pas applicable.
L’argument n’est pas accueilli avec beaucoup plus de succès. « Le parasitisme est une notion qui doit, comme la concurrence déloyale, être apprécié à l’aune du principe de la liberté du commerce, et en l’espèce les faits contestés par la société LA VOIX DU NORD et relevés sur la page FACEBOOK litigieuse ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une activité de commerce, n’étant pas justifié que Monsieur S tire, de l’administration de cette page, un quelconque avantage lucratif ». Nous retrouvons ici la motivation adoptée sur le terrain du droit des marques.
La morale de l’histoire, au-delà de la recommandation de l’utilisation parcimonieuse des droits de propriété intellectuelle dans un contexte non commercial, est qu’il ne faut pas confondre atteinte à des monopoles d’exploitation et atteinte à la réputation.
Il ne fait pas de doute que ce respectable journal ait été malmené par un adversaire politique agressif (celui-ci a été, en effet, qualifié, par l’adjoint au maire, de « torchon socialiste » et auteur de nombreux « délits de malhonnêteté »…).
Dit autrement, une action sur le terrain de la presse (diffamation ?) eut été certainement plus fructueuse que celle sur le fondement des droits de propriété intellectuelle.
1 RG n°18/19018
2 TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 28 nov. 2013, L. Collard c/ Sté Telfrance Série et Facebook France : Propr. industr. 2014, comm. 27, note P. Tréfigny. Rappelons qu’étaient ici en cause, d'un côté, la société de production TelFrance, titulaire des marques « PBLV » et « Plus Belle La Vie » et, de l'autre, la créatrice et animatrice d'un site non officiel consacré à cette série télévisée ainsi que d'une page Facebook (www.facebook.com/pblvmarseille). La société de production, estimant que cette communication ne lui était pas profitable, a demandé à Facebook de supprimer la page non officielle « PBLV Marseille », qui comptait plus de 600 000 fans, et de la fusionner avec la page officielle de la série télé. La société de production a ainsi été assignée, avec Facebook, par la créatrice de la page en cause afin de voir notamment sa page rétablie.
3 TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 25 sept. 2014, n° 14/00145, JR Connect et Night Management Production c/ M. Eliott S. alias DJ EI'S
4 Sur cette thématique voir J.-M Bruguière « La protection de l’entreprise sur les réseaux sociaux », Juris-Classeur Fasc. 620, 2016
5 Celles-ci ne seront pas évoquées. Elles sont jugées non protégeables par droit d’auteur en raison de l’absence d’originalité dans le cadrage, la recherche de la lumière, la mise en scène….Toutes choses bien connues.