La collection Bored Ape Yacht Club (BAYC), représentant des singes générés de façon algorithmique par l’entreprise Yuga Labs, est l'une des collections NFT les plus célèbres au monde. Elle a donné lieu à une spéculation frénétique faisant grimper les prix jusqu’à plusieurs millions de dollars car la start-up Yuga Labs à l’origine du projet accorde tous les droits de propriété intellectuelle aux propriétaires des primates.
Suite à l’engouement de 2021, le marché des NFT a subi un sévère recadrage. Le Monde indiquait qu’entre février et mars, « le volume des dépenses a chuté de 3,9 milliards à 964 millions de dollars ». Les NFT n’ont toutefois pas laissé de marbre les escrocs, attisés par la lucrativité des BAYC. Pour la première fois, la justice française a mis en examen cinq individus pour le vol de NFT le mercredi 12 octobre 2022.
Dans cette affaire, tout avait commencé avec des plaintes d’internautes de la communauté BAYC affirmant avoir été victime de vols de NFT. Un cavalier solitaire sous le pseudonyme de ZachXBT avait alors commencé des investigations fin 2021. Ainsi alertée, la section cyber du parquet de Paris s’était saisie de l’affaire et avait confié à l’OCLCTIC (Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication) une enquête à ce sujet le 23 août.
Le 12 octobre, l’information judiciaire donna lieu à la mise en examen des cinq individus âgés de 18 à 23 ans, habitant à Paris, Caen et Tours. Ils sont poursuivis pour escroquerie en bande organisée, blanchiment de cette infraction et association de malfaiteurs, a indiqué le parquet à l’AFP.
Afin de voler les NFT, les aigrefins avaient utilisé un site d’hameçonnage. Ils promettaient aux propriétaires de rendre leurs œuvres d’art numériques statiques en images animées, comme des GIFS. Pour valider la transaction, les codes de cession des NFT devaient être transmis. Dès lors, le piège se refermait et les escrocs sont devenus propriétaires de NFT dont la valeur totale s’élevait à 2,5 millions de dollars.
Les prix vertigineux des NFT illustrent un changement de paradigme : ce n'est pas tant la propriété que les droits qui lui sont associés qui créent la valeur. En effet, ce qui confère au BAYC sa valeur, ce sont les droits de propriété intellectuelle très larges cédés à l’acquéreur du jeton. Le propriétaire peut créer un restaurant proposant des produits dérivés ou encore une bande dessinée représentant leurs Bored Ape. Les opportunités sont multiples, d’autant plus que « les cas d'usage [des NFT] se diversifient et se multiplient dans de nombreux secteurs » indique Ingrid Vergara dans un article du Figaro.
Aujourd'hui, on ne spécule plus sur les NFT en tant que tels mais sur les droits associés. Ainsi, les NFT constituent un défi majeur pour le juriste en propriété intellectuelle.
Cette affaire permettra de clarifier le statut des NFT qui relèvent incontestablement des biens incorporels, sans pour autant être des droits de propriété intellectuelle. Il appartiendra au juge pénal de restituer l’exacte qualification des faits. Pendant longtemps, on a considéré que les biens incorporels ne pouvaient pas être volés car ils ne répondaient pas à l’exigence de soustraction prévue par le Code pénal (article 311-1). Suite aux avancées technologiques, le vol d’énergie fit son apparition dans le Code en 1994 (article 312-2) et progressivement, les juges finirent par accepter implicitement le vol d’information (Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-81.336).
Affaire à suivre …