Le 4 février dernier, le public du Cadogan Hall de Londres a pu assister à un concert tout à fait inédit dans l’histoire de la création musicale : celui de la Symphonie n°8 de Schubert, achevée grâce à l’intelligence artificielle (IA) du géant de la tech Huawei.
Lorsque le jeune prodige autrichien commence l’écriture de sa Huitième Symphonie en 1822, on imagine facilement que celle-ci fut composée à la lumière de la bougie et au son du grattement de la plume sur le papier. Franz Schubert décèdera à 31 ans des suites d’une maladie, en n’ayant composé que deux des quatre mouvements.
Quelle aurait été la réaction du compositeur s’il avait su que celle-ci serait complétée presque deux cent ans plus tard par un outil technologique ?
Ces questions resteront sans réponse mais Huawei a pourtant relevé le défi d’utiliser l’IA pour créer deux mouvements inédits, faisant passer l’œuvre de 27 à 48 minutes.
La technologie utilisée repose sur le logiciel du smartphone Mate 20 Pro dont le fonctionnement met en jeu le Deep Learning (apprentissage profond), basé sur des réseaux de neurones artificiels. Pendant plusieurs mois, des ingénieurs ont alimenté le modèle algorithmique de données musicales correspondant aux motifs de la partition originale, et de 90 autres œuvres de Schubert ou de morceaux dont il aurait pu s’inspirer. Le smartphone, en se basant sur ces analyses, devait détecter les récurrences propres au compositeur et à son époque, pour générer des lignes harmoniques et ainsi compléter la partition.
Mais la création ne s’est pas faite sans le concours de l’expertise humaine. Le compositeur américain Lucas Cantor est intervenu pour guider le logiciel en sélectionnant les propositions les plus fidèles au style de Schubert, informant ainsi la machine lorsqu’elle faisait fausse route pour lui permettre de faire des ajustements. C’est une fois ce travail effectué et sur la base des mélodies créées par l’IA que Lucas Cantor a pu composer la partition des deux derniers mouvements et orchestrer le tout.
Au-delà de la prouesse technologique (même si la Symphonie n°8 ainsi complétée et jouée par l’English Session Orchestra a laissé nombre de journalistes dubitatifs quant à sa qualité musicale), cette œuvre « transcréative » générée par une innovation technologique mais fondée sur des choix humains, soulève des interrogations quant à son régime juridique.
D’autant plus que cet ambitieux projet n’est pas l’unique du genre : on peut penser à l’album composé par l’IA Flow Machines de Spotify, en collaboration avec des musiciens et révélé en 2018, ou encore au logiciel AIVA (Artificial Intelligence Virtual Artist), développé par une start-up française pour proposer aux utilisateurs de créer un morceau de musique à l’aide de l’IA.
Peut-on considérer l’IA douée de facultés créatrices ? Ces œuvres méritent-elles protection au titre du droit d’auteur ? Dans ce cas, quel serait leur statut? Sur qui pèserait la responsabilité dans le cas où l’œuvre contreviendrait aux droits des tiers ? Et surtout, qui détient les droits de propriété et les droits d’auteur sur l’œuvre : le concepteur de l’application, le propriétaire de la machine, celui qui l’utilise ?
L’infiltration croissante de la technologie dans le processus de création1 rend urgent le besoin de répondre à ces nombreuses questions qui, loin d’être anecdotiques, seront primordiales dans cette nouvelle économie culturelle de la « trans-création ».
1 Divers projets artistiques mettent en jeu l’IA, tel que le "Next Rembrandt"