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Actualité
22/4/25

Affaire Rolex : les limites de la liberté d'expression artistique opposée aux marques notoires

Une distinction essentielle entre création artistique et exploitation commerciale

L'utilisation de marques notoires dans l'art n'est pas un phénomène nouveau. Des artistes comme Andy Warhol avec ses sérigraphies des boîtes de soupe Campbell's, Roy Lichtenstein intégrant les logos et personnages de bandes dessinées Marvel, ou encore Takashi Murakami collaborant avec Louis Vuitton, ont tous incorporé des marques célèbres dans leurs œuvres. C'est dans cette tradition artistique que s'inscrit Johann Perathoner, artiste plasticien français influencé par le courant Pop Art.

Par un jugement rendu le 2 avril 2025, le Tribunal judiciaire de Paris (3ème chambre, 3ème section) a tranché un litige opposant les sociétés Rolex France et Rolex SA à Johann Perathoner. Ce dernier avait créé, à partir de 2018, une collection d'œuvres en trois dimensions intitulée "3D Watches" représentant des villes intégrées dans des cadrans de montres. Les sociétés Rolex reprochaient à l'artiste d'avoir fait usage sans autorisation de leurs marques renommées dans la promotion et la commercialisation de ses œuvres, notamment sur ses réseaux sociaux (avec dix messages diffusés entre le 10 octobre 2018 et le 5 août 2021), son site internet et dans un clip promotionnel diffusé sur YouTube entre le 3 novembre 2021 et le 3 novembre 2022, ainsi que lors d'une exposition organisée à l'hôtel Royal Monceau à Paris.

Johann Perathoner contestait ces accusations en invoquant sa liberté d'expression artistique dans le cadre d'une démarche relevant du Pop Art, courant artistique intégrant traditionnellement des marques dans les œuvres. Il soutenait que son usage des marques s'inscrivait dans une approche artistique et non dans une exploitation commerciale visant à désigner des produits.

Une appréciation nuancée de la renommée des marques et de l'atteinte portée

Le tribunal a d'abord analysé la renommée des différentes marques invoquées par les sociétés Rolex. Sur ce point, il a reconnu la renommée des marques "Rolex" verbales et figuratives, au vu notamment des nombreux sondages et enquêtes de notoriété attestant de leur classement parmi les marques les plus réputées au monde pendant plusieurs années consécutives. En revanche, il a considéré que la renommée des marques secondaires "GMT-Master", "Yacht-Master" et "Milgauss" n'était pas établie, ces dernières étant toujours utilisées en juxtaposition avec la marque "Rolex", seule perçue comme renommée.

S'agissant des usages litigieux, le tribunal a opéré une distinction fondamentale. Il a estimé que si l'utilisation des signes "Rolex" dans les titres des œuvres de Johann Perathoner relevait de son expression artistique, en revanche, la promotion de ces œuvres au moyen de ces signes sur les réseaux sociaux et dans un clip vidéo dépassait les usages loyaux en matière industrielle et commerciale. Le tribunal a notamment relevé que : "l'examen de ces pièces révèle de nombreuses exploitations des marques renommées 'Rolex' à des fins promotionnelles, les signes étant parfois même associés au terme 'Watch' désignant les montres. De même, un clip vidéo diffusé sur YouTube, mettant en avant un service de personnalisation de tableaux, affiche les signes 'Rolex' ainsi que son logo à la couronne."

Le tribunal a conclu que :

"face à la présence des signes distinctifs et du logo à la couronne dans une vidéo commerciale ainsi qu'à la reproduction à l'identique des marques sur les réseaux sociaux, le public pertinent composé des amateurs de montres de luxe ne peut qu'associer ces éléments aux marques des sociétés Rolex et peut donner à penser qu'il existe un lien commercial entre lui et ces sociétés."

Un raisonnement juridique fondé sur la directive européenne, la jurisprudence de la CJUE et le parasitisme

Le tribunal a appuyé son raisonnement sur plusieurs fondements juridiques, notamment l'article 9 du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l'Union européenne, l'article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle, ainsi que la directive 2015/2436 rapprochant les législations des États membres sur les marques.

Parallèlement à l'action en contrefaçon de marques, les sociétés Rolex avaient également fondé leurs demandes sur le parasitisme, en vertu de l'article 1240 du code civil. Sur ce fondement, le tribunal a rappelé que "le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis". Le tribunal a précisé que "les agissements parasitaires peuvent être constitutifs d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil même en l'absence de toute situation de concurrence".

En l'espèce, le tribunal a considéré que les demandes des sociétés Rolex reposaient également sur l'usage de la dénomination sociale et du nom commercial "Rolex", relevant de faits distincts des actes de contrefaçon.

Il a constaté que Johann Perathoner :

"a multiplié les références aux signes 'Rolex' dans le cadre de son activité artistique, l'évoquant dans ses publications sur les réseaux sociaux pour présenter et promouvoir ses œuvres, créant un risque d'association directe dans l'esprit du consommateur qui sera amené à croire à l'existence d'un lien ou d'un partenariat entre les parties à l'instance."

Le tribunal a souligné que "cette association est réelle, comme en atteste la vente d'œuvres d'art mentionnant les signes 'Rolex' rendue possible grâce à la notoriété acquise par les dénominations des sociétés Rolex, comme l'affirme [l'artiste] lui-même : 'les quelques collectionneurs ayant acheté les montres Rolex, dans lesquelles étaient incluses les villes [...] sont déjà des possesseurs des montres'". Sur la base de ces éléments, le tribunal a considéré que les actes parasitaires reprochés à Johann Perathoner étaient constitués.

Des sanctions mesurées visant essentiellement les usages promotionnels

Le tribunal a prononcé diverses mesures à l'encontre de l'artiste. Il lui a interdit d'user des signes "Rolex" litigieux portant atteinte aux marques renommées n° 976721, n° 1355807 et n° 476371, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant 180 jours après un délai de 30 jours suivant la signification du jugement. Il a également ordonné le retrait des signes "Rolex" litigieux de sa vidéo YouTube et de ses dix messages sur les réseaux sociaux, sous les mêmes conditions d'astreinte.

Sur le plan indemnitaire, Johann Perathoner a été condamné à verser à chacune des sociétés Rolex 2500 euros en réparation du préjudice résultant de l'atteinte aux marques renommées et 1500 euros en réparation du préjudice résultant des actes de parasitisme. Pour ce dernier chef de préjudice, le tribunal a relevé que "les sociétés Rolex ne versent aucune pièce au soutien de leurs demandes au titre des préjudices résultant du parasitisme", mais que "ces actes leur ayant nécessairement causé un préjudice moral", celui-ci devait être réparé. Le tribunal a rejeté les demandes des sociétés Rolex fondées sur l'atteinte aux marques "GMT-Master", "Yacht Master" et "Milgauss" dont la renommée n'était pas établie.

Cette décision illustre bien la frontière parfois ténue entre liberté d'expression artistique et exploitation commerciale d'une marque renommée. Si la démarche artistique de Johann Perathoner et ses créations ne sont pas en elles-mêmes remises en cause, le tribunal sanctionne en revanche l'usage promotionnel de la marque renommée pour valoriser ces œuvres sur les réseaux sociaux, considérant qu'il s'agit d'un détournement illégitime de la force d'attraction de la marque Rolex.

Il convient de souligner que cette décision, qui concerne un artiste authentique créant des œuvres originales en nombre limité, n'est pas transposable aux cas de démarches faussement artistiques comme la production en grandes séries de skates ou de bidons d'essence ornés de logos notoires, vendus comme objets de décoration de style Pop Art dans de prétendues "galeries d'art". Ces pratiques, qui relèvent davantage d'une exploitation commerciale massive que d'une véritable expression artistique, appellent une appréciation juridique différente et généralement plus sévère.

Vincent FAUCHOUX
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