Le Sénat a modifié et adopté la proposition de loi « visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants » le 10 mai dernier.
Cette proposition de loi s’inscrit dans une dynamique de fond en faveur de la protection des enfants face aux risques du numérique avec l’examen de deux autres propositions de loi depuis début janvier1.
Plus spécifiquement, cette proposition de loi intervient dans un contexte où les enfants, notamment à travers leur image, sont de plus en plus exposés sur les réseaux sociaux. Elle relève à ce titre qu’un enfant apparaîtrait sur 1.300 photos publiées en ligne avant ses 13 ans. Outre, l’impact psychologique qu’une telle exposition peut faire peser sur les enfants, un risque pour leur sécurité naît de cette surexposition (site pédopornographique, identification du lieu où se trouve l’enfant, etc.). Au-delà, une atteinte au droit à la vie privée de l’enfant mineur, consacré à l’article 16 de la Convention internationale des droits de l’enfant, peut résulter d’une telle diffusion de son image.
Cette diffusion est le plus souvent le fait de proches, notamment de ses parents. Ces derniers, en tant que titulaires de l’autorité parentale, sont titulaires du droit à l’image de l’enfant. La proposition de loi a un objectif pédagogique, son but étant de responsabiliser les parents sur le droit à l’image de l’enfant, avant toute intervention de la puissance publique.
La proposition de loi vient intégrer à la définition de l’autorité parentale du Code civil2, le droit au respect de la vie privée de l’enfant au titre du respect dû à sa personne. Cet ajout tend à rappeler que titulaire de l’autorité parentale, et donc de droits et obligations qui leur sont faits par la loi, les parents sont tenus de veiller au respect du droit à la vie privée de leur enfant.
L’Assemblée nationale était allée plus loin en modifiant la rédaction de l’article initial de la proposition de loi3. En effet, le texte adopté par l’Assemblée nationale plaçait le respect de la vie privée de l’enfant, au même rang que l’obligation faite aux parents de protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité.
En première lecture, le Sénat est venu confirmer l’intérêt de rajouter la notion de vie privée au sein de la définition de l’autorité parentale, permettant ainsi aux parents de connaître plus précisément le périmètre de celle-ci. Toutefois, le Sénat est revenu à la rédaction initiale de la proposition de loi qui rattache le droit à la vie privée de l’enfant au respect dû à sa personne, rappelant qu’en tant que droit de la personnalité de l’enfant, le droit au respect à la vie privée est déjà compris dans « le respect dû à sa personne ». Plus encore, il estime que les trois finalités de l’autorité parentale étant la sécurité, la santé et la moralité, il n’est pas opportun de placer la vie privée au même rang.
Insérant un aliéna à l’article 372-2-6 du Code civil, la proposition de loi vient permettre au juge d’interdire, « en cas de désaccord entre les parents sur l’exercice des actes non-usuels relevant du droit à l’image de l’enfant »4, à l’un des parents de publier ou diffuser toute image de son enfant sans l’autorisation de l’autre parent. Cette interdiction pourra être prononcée en référé en cas d’urgence.
L’Assemblée nationale était venue restreindre cet article aux seuls contenus relatifs à l’enfant. Elle avait en effet estimé que l’interdiction générale initialement prévue était susceptible de porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, rendant possiblement le dispositif anticonstitutionnel.
Le Sénat, en accord avec le principe énoncé, a toutefois vu un risque dans la restriction de cette disposition aux seuls « actes non-usuels ». Un aléa jurisprudentiel pouvant exister sur ce point, le Sénat a préféré remplacer l’article de la proposition de loi par une disposition plus générale selon laquelle « La diffusion au public de contenus relatifs à la vie privée de l’enfant fait l’objet d’un accord de chacun des parents ».
Par ailleurs, le Sénat a complété la proposition de loi par un article 5 relatif aux pouvoirs d’intervention de la CNIL5. Il ressort du rapport de la Commission du Sénat que la CNIL est régulièrement saisie de plaintes concernant la publication d’images d’enfants sur la base du seul accord de l’un des deux titulaires de l’autorité parentale.
La proposition de loi modifiée par le Sénat insère ainsi au IV de l’article 21 de la loi informatique et liberté6 après le terme loi « ou d’atteinte à ces mêmes droits et libertés dès lors qu’il s’agit d’un mineur ». Cet article 5 vient ainsi en complément de l’article 3 et permettra à la CNIL d’intervenir plus facilement auprès des éditeurs de site afin qu’ils justifient de l’accord des deux titulaires de l’autorité parentale pour la diffusion d’une photo d’un enfant.
À côté des modifications apportées ou de l’insertion de l’article 5, le Sénat est venu supprimer deux articles de la proposition de loi :
La proposition de loi prévoyait de rétablir l’article 372-1 du Code civil pour prévoir que l’exercice du droit à l’image de l’enfant s’exerce en commun par les titulaires de l’autorité parentale et que l’enfant est associé à l’exercice de son droit à l’image en fonction de son âge et de sa maturité.
Accepté sans modification par l’Assemblée nationale, le Sénat est venu le supprimer, le jugeant répétitif et sans apport. En effet, le Sénat a considéré que cet article vise uniquement à codifier la jurisprudence constante en la matière quant à l’exercice du droit à l’image de l’enfant. En sus, cette codification serait inutile, le Code civil8 prévoyant déjà le principe de l’exercice en commun de l’autorité parentale et de l’association de l’enfant à cet exercice.
Initialement, la proposition de loi prévoyait la possibilité de saisir le juge aux fins de délégation de l’exercice de l’autorité parentale totale ou partielle dans le cas où la diffusion de l’image de l’enfant par ses deux parents porterait une atteinte grave à la dignité et l’intégralité morale de l’enfant. L’Assemblée nationale a modifié cet article pour prévoir uniquement la délégation de l’exercice du droit à l’image de l’enfant.
Le Sénat a quant à lui supprimé cet article estimant que la rédaction de l’article et notamment les termes « portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale » pouvait caractériser une mise en danger de l’enfant dans sa santé, sa sécurité ou sa moralité, permettant déjà au juge d’intervenir en prononçant par exemple le placement de l’enfant mineur.
Une commission mixte paritaire a été convoquée, elle devra trouver un compromis sur le texte final.
1 Proposition de loi n°757 relatives à la prévention de l’exposition excessive des enfants aux écrans et Proposition de loi n°739 visant à instaurer une majorité numérique et la lutte contre la haine en ligne
2 Article 371-1 Code civil
3 Article 1 proposition de loi
4 En matière d’image, l’envoi de photographie à des proches est un acte usuel tandis qu’est un acte non-usuel l’exploitation commerciale de l’image de l’enfant.
5 Commission nationale de l’informatique et des libertés
6 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés
7 Article 2 proposition de loi
8 Articles 371-1 et 372 Code civil
9 Article 4 proposition de loi