Deux jugements récents mettent en lumière les risques liés à l’emploi de photographies issues de banques d’images sur Internet, souvent présentées comme étant « libres de droit ».
Dans cette affaire, les ayants-droits de l’architecte « Le Corbusier » et d’autres auteurs d’œuvres de design intérieur (fauteuils, chaise longue, etc.) reprochaient à Getty Images d’avoir mis en ligne 57 photographies reproduisant des œuvres sans leur autorisation, sur le fondement de la contrefaçon de droit d’auteur.
Getty invoquait d’abord l’argument classique de la théorie de l’accessoire pour échapper à la contrefaçon, argument rapidement écarté par les juges.
Getty Images avançait deux autres arguments plus étonnants. Le premier consistait à invoquer la liberté d’expression. Les juges énoncent, tout à fait logiquement, que « la liberté d’expression dans des clichés photographiques à visée publicitaire ou commerciale qui n’ont pas pour objet d’exprimer une opinion ne saurait exonérer de la protection due aux auteurs ou à leurs ayants-droits des œuvres représentées sans leur autorisation ». La liberté d’expression n’est pas, en soi, une exception au droit d’auteur, même si elle sert de fondement à plusieurs exceptions (la courte citation, etc.)
Le second argument avancé par Getty était tout aussi osé : il serait impossible pour les photographes de savoir si une œuvre est protégée faute de répertoire officiel, de sorte que la contrefaçon serait contraire au principe de sécurité juridique et à l’exigence de prévisibilité et d’intelligibilité de la loi. Après avoir indiqué que les dispositions de droit interne sont suffisamment claires, les juges déclarent « qu’il appartient aux personnes souhaitant utiliser une œuvre susceptible de bénéficier de la protection du droit d’auteur d’effectuer au préalable les recherches permettant de déterminer si des autorisations sont nécessaires, l’application de ces dispositions clairement énoncées n’étant pas source d’insécurité juridique d’autant plus qu’en l’espèce, les meubles « Le Corbusier » étaient très connus ». On le sait, la bonne foi n’est pas exclusive de la contrefaçon.
Getty est donc condamnée pour contrefaçon, et il en aurait été de même de la part d’un client de Getty (annonceur, éditeur de presse ou de site Internet) qui aurait fait usage des clichés en cause reproduisant des œuvres protégées.
Cette affaire opposait un musicien qui se plaignait de l’atteinte à son image résultant de son apparition sur une photographie prise à l’occasion d’un concert qui était utilisée comme affiche publicitaire par un magasin d’instruments musicaux dénommé « MUSIKIA ». Cette photographie lui avait été fournie par la société CORBIS.
L’atteinte à l’image étant constituée, la question posée était de savoir si MUSIKIA pouvait valablement se retourner vers CORBIS pour l’appeler en garantie. CORBIS opposait que son contrat de licence, que l’annonceur devait accepter par un « clic » avant de confirmer sa commande par Internet, contenait des exclusions de garanties, notamment relatives au droit à l’image des personnes photographiées. MUSIKIA contestait que cette licence lui soit opposable au motif qu’elle était illisible, rédigée en anglais, et dès lors que son consentement était vicié.
Relevant que « c’est en qualité de professionnel que la société MUSIKIA a contracté avec la société CORBIS puisqu’elle a conclu le contrat dans un but publicitaire et promotionnel », le Tribunal a écarté les moyens tirés du droit civil, du droit de la consommation et de la Loi Toubon pour juger que les conditions générales de CORBIS étaient applicables et opposables à MUSIKIA. Il a donc rejeté l’appel en garantie à l’égard de CORBIS.
« Libres de droit » dit-on… Ces affaires montrent bien qu’avant d’utiliser une image issue de ces fonds photographiques, il est nécessaire de procéder à un minimum de vérifications, et le cas échéant négocier une clause de garantie en bonne et due forme.