Le rapport de la Commission de l’intelligence artificielle remis au Gouvernement le 16 mars 20241 voulait « dédiaboliser l’IA, sans pour autant l’humaniser ». Délicate ligne de crête… Ce rapport contient d’intéressantes études économiques et sociales sur l’impact prévisible de l’IA et ses différents enjeux dans tous domaines.
Très incidemment il s’attarde sur la confrontation des « données protégées par un droit de propriété littéraire et artistique » aux outils d’IA, et conclut par une recommandation 17 : « mettre en œuvre et évaluer les obligations de transparence prévues par le règlement sur l’IA en encourageant le développement de standards et d’une infrastructure adaptée ».
Ce rapport envisage donc cette confrontation PI/IA uniquement sous l’angle de l’obligation de transparence, énoncée à l’article 53 de l’IA act, qui en l’état crée essentiellement une obligation à la charge des opérateurs utilisant une technologie IA d’informer les clients / public que ce qui est généré (« outputs ») l’est à l’aide d’une telle technologie.
Mais il laisse dans l’ombre une question plus fondamentale : celle de savoir si les technologies d’intelligence artificielle générative, en ce qu’elles utilisent comme données d’entraînement des œuvres protégées (« inputs »), portent atteinte au monopole sur ces œuvres, et ce faisant requièrent l’autorisation des ayants-droits, et une contrepartie financière.
On sait que cette question soulève d’importantes difficultés juridiques : le webscraping mis en œuvre par ces technologies opère t il une reproduction des œuvres utilisées comme données d’entraînement ? Dans l’affirmative, l’exception dite de « datamining » (fouille de données) est-elle susceptible de s’appliquer ? On sait que de nombreux ayants-droits – en particulier les organismes de gestion collective - ont exercé leur « opt out » sur la mise en œuvre de cette exception, manière de postuler que l’utilisation de leurs œuvres comme données d’entraînement se situe bien dans le champ du monopole dont elles assurent la gestion. On sait aussi que des procès ont été engagés, en particulier aux Etats-Unis celui initié par le New York Times contre Open AI. On sait enfin qu’en France une proposition de Loi a été déposée le 12 septembre 20232 pour créer une « taxation dans l’éventualité où une œuvre de l’esprit est engendrée par un dispositif d’intelligence artificielle à partir d’œuvres dont l’origine ne peut être déterminée ». Comme on le voit, le droit est loin d’être stabilisé sur ces questions.
C’est dans ce contexte que la Ministre de la Culture, le 16 avril 2024, a saisi le Conseil supérieur de la Propriété littéraire et artistique (CSPLA) de deux rapports3 :
Ces rapports seront bien évidemment précédés d’auditions des différentes parties prenantes, et l’on peut espérer qu’ils seront marqués par l’ouverture d’esprit qu’implique cette réflexion, à rebours de toute approche corporatiste.
1 Mission d'appui du CGE à la commission de l'intelligence artificielle
2 Propositionde loi n°1630 - 16e législature - Assemblée nationale
3 Intelligence artificielle : Mme Rachida DATI, ministre de la Culture, mandate le CSPLA