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Actualité
27/9/22

Action en révision d'une rémunération forfaitaire : l’auteur cédant doit prouver qu’il n’était pas à même de prévoir l’ampleur de l’exploitation au moment de la conclusion du contrat

Une nouvelle confirmation des difficultés d’application de l’article L. 131-5 du CPI.

Le droit d’auteur a souvent été présenté comme un précurseur de l’accueil de l’imprévision contractuelle dans notre système juridique.

Au très ancien Canal de Craponne répondait, en effet, disait on, le très moderne article L. 131-5 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel :

« I. En cas de cession du droit d'exploitation, lorsque l'auteur a subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l'œuvre, il peut provoquer la révision des conditions de prix du contrat »1.

Le problème de cette présentation des choses est qu’elle est en grande partie fausse. L’article L. 131-5 du CPI, depuis 1957, n’a jamais donné lieu à beaucoup d’applications jurisprudentielles et, quand décision il y a eu, le juge s’est toujours arrangé pour rejeter les demandes de révision2. En voici une nouvelle illustration fort intéressante à partir d’un arrêt rendu le 11 mars 2022 par la Cour d’appel de Paris3.

Un litige autour du fermoir « LV tournant » : solution du TJ et de la Cour d’appel.

L’affaire qui est passablement complexe (de nombreuses conventions étaient en jeu) oppose la société Louis Vuitton Malletier (LVM) à une designer free lance à propos de la révision de la rémunération forfaitaire perçue par l’auteur.

L’œuvre en cause est le fermoir « LV tournant » reprenant le logotype de la  célèbre maison de maroquinerie de luxe. Il a été créé en 1988 dans le cadre d’un « contrat de concession de savoir-faire »portant collaboration pour la création d'une ligne de sacs et fixant une rémunération fixe de 100.0000 francs et des redevances au taux de 3% sur le prix de vente hors taxe de chaque sac vendu en France ou à l'étranger. Quatre ans plus tard, la créatrice a conclu avec LVM une convention dont l’article 1 prévoit le « rachat de tous droits de propriété attachés » aux modèles de sacs correspondant aux huit références visées en annexe, la designer cédant à LVM « l'intégralité des droits cessibles de propriété incorporelle et de jouissance, sans exception, ni réserve, qu'elle détient » sur ces modèles. La cession est consentie en contrepartie d’un forfait de 4.574.402 francs dont il est prévu que le paiement « se substitue et annule toutes redevances futures » à valoir au titre du contrat de concession de savoir-faire de 1987. Cette rémunération forfaitaire n’est l’objet d’aucune critique de la part de l’auteur. Il en va différemment de celle prévue par l’article 2 du même contrat de 1992 en contrepartie du « rachat des droits de propriété » attachés au concept de fermeture du "LV tournant" sur de nouveaux modèles de sacs de ville ou sacs de voyage et de loisirs, à savoir une somme de 517.689 francs, les parties s’accordant sur le fait que ladite somme « correspond à une rémunération globale et forfaitaire pour tous droits actuels et futurs » sur le concept, et la créatrice s’interdisant de « céder à des tiers tout ou partie des droits patrimoniaux » auxquels il donne prise.

C’est ici que se noue le litige.

La designer plaide, tout d’abord, la nullité de l’article 2 au motif qu’il viole le principe de la rémunération proportionnelle. La Cour d’appel de Paris, comme l’avaient fait les premiers juges4, constate que l’action en nullité est prescrite. Est sollicitée, à titre subsidiaire, la révision du forfait sur la base de l’article L.131-5, la demanderesse estimant qu’il est très insuffisant au regard des recettes encaissées par LVM. Sur ce point le tribunal avait, selon nous, parfaitement répondu :

« la valeur des produits LVM est liée au prestige de la société, à la qualité de la maroquinerie, à la notoriété de la société LVM, à sa force de vente et à son réseau de distribution, à sa capacité à relancer de nouveaux produits et en faire un incontournable, tandis que le fermoir, même s’il reproduit les initiales de la défenderesse, ne constitue qu’un accessoire de ces produits et ne confère à la valeur du produit fini, qu’une valeur ajoutée limitée ».

L’on aura compris que les calculs mis en avant par la designer pour justifier du déséquilibre manquaient de pertinence, en ce qu’ils prenaient en compte le chiffre d’affaires engendré par la vente des articles de maroquinerie dans leur intégralité ; la création litigieuse en cause étant en réalité accessoire.

La Cour d’appel ne se place pas sur le même registre. Sans rentrer dans le détail des chiffres, elle conteste le principe même de l’imprévision.

Outre le fait que la possibilité pour LVM d'utiliser le fermoir sur d'autres sacs avait été expressément prévue par les parties dans le contrat (qui est tout de même la loi des parties…), elle souligne que la designer ne justifie pas que :

« les produits aient connu un volume d'exploitation et un succès qui n'avaient pu être prévus lors de la conclusion du contrat », précisant que « le seul fait (que) la réutilisation du « LV tournant» se soit produite plus de 20 ans après la conclusion du contrat, alors même qu'aucun délai n'était prévu, ne suffit pas à établir d'une imprévisibilité des produits de l'œuvre alors qu'il n'est pas justifié d'une évolution des conditions économiques ayant affecté l'économie du contrat sauf bien sûr à convertir les montants fixés en francs en euros ».

Comment prouver l’imprévisibilité du forfait ?

L’auteur doit donc démontrer, selon la Cour, qu’il  n’était pas à même de prévoir l’ampleur de l’exploitation au moment de la conclusion du contrat.

Mais comment peut-il le faire ?

Certains suggèrent, comme notre complice André Lucas5, de raisonner en ayant à l’esprit la révision de la rémunération proportionnelle6 :

« Sans doute aurait-il été plus judicieux de s’attacher à identifier les recettes provenant de l’exploitation des œuvres en cause, puis de leur appliquer fictivement un taux de rémunération proportionnelle proche de celui retenu dans le contrat initial (3%), afin de déterminer si le chiffre obtenu selon ce calcul était très supérieur au montant du forfait convenu en 1992 ».

Il est vrai que le II de l’article L. 131-5du CPI dispose :

« L'auteur a droit à une rémunération supplémentaire lorsque la rémunération proportionnelle initialement prévue dans le contrat d'exploitation se révèle exagérément faible par rapport à l'ensemble des revenus ultérieurement tirés de l'exploitation par le cessionnaire ».

Nous ne sommes pas certains, toutefois, qu’une telle analyse soit possible. La création litigieuse répondait bien aux conditions de l’article L. 131-4 4°. Selon ce texte, la rémunération forfaitaire peut être prévue lorsque :

« 4°La nature ou les conditions de l'exploitation rendent impossible l'application de la règle de la rémunération proportionnelle, soit que la contribution de l'auteur ne constitue pas l'un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l'œuvre, soit que l'utilisation de l'œuvre ne présente qu'un caractère accessoire par rapport à l'objet exploité ».

Ce forfait était donc justifié pour la création litigieuse. Il est donc pour le moins délicat de s’appuyer sur les règles de la rémunération proportionnelle pour réviser un forfait sauf à déjouer les prévisions contractuelles. Certains juges ont souligné ce point7. Et il nous semble essentiel.

Jean-Michel BRUGUIERE

1 L’article L. 131-5 comporte également un II sur la partie rémunération proportionnelle récemment réformé par l’ordonnance du 12 mai 2021 (sur le II)

2 J.-M.Bruguière « La révision de la rémunération de l’auteur et del’artiste-interprète », Propr. intell. 2021 n°80 p. 28

3 CA Paris, pôle 5-2, 11 mars 2022 RG n°20/08972 ; PIBD2022, 1186-III-7  

4 TJParis, 3e ch., 12 juin 2020, RG n°15/10854.

5 Propr.intell. 2022 n°85 à paraître

6 Un autre moyen, factuel, est certainement de prendre en compte la rémunération forfaitaire accordée. Plus celle-ci sera forte, plus est probable que le cessionnaire a l’intention d’exploiter l’œuvre. La somme qui avait été accordée, près de 500 000 euros, n’était tout de même pas dérisoire. Il en était de même pour la cession des modèles de sac.

7 CA Paris, 4e ch.,9 déc. 1992 : RIDA 2/1994, p. 228.

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