Le 28 octobre dernier, Mark Zuckerberg a dévoilé le nom d’une nouvelle structure englobant Facebook, Instagram, WhatsApp et Oculus : META.
META pour … « Metaverse », en français Métavers, contraction des mots « meta » et « univers », pour désigner un méta-univers. Le Métavers est ainsi un monde virtuel fictif décrit le plus souvent comme une version future d’Internet où des espaces virtuels, persistants et partagés, sont accessibles via des interactions 3D . Le Métavers désigne donc un univers virtuel où les participants peuvent interagir avec une grande liberté de déplacement, de choix d’ interactions sociales, d’apparences sous la forme d’avatar, mais encore de création ou de gestion économique.
Le jeu vidéo « Second Life », dont l’origine remonte à 2003, est souvent vu comme l’ancêtre du Métavers ; les utilisateurs pouvaient incarner des personnages virtuels, concevoir entièrement le contenu du jeu (bâtiments, vêtements, animations, sons, etc…), acquérir des terrains pour en obtenir la jouissance en utilisant une monnaie virtuelle, etc. Des évènements organisés par des marques s’y étaient d’ailleurs produits (publicité pour les vêtements American Apparel, pour les équipements informatiques d’IBM, etc.).
Aujourd’hui, de nombreuses entreprises veulent saisir les opportunités commerciales liées aux Métavers (promotion et même monétisation sous forme de NFT de produits « virtualisés » auprès d’une nouvelle audience, « pont » vers les canaux traditionnels de commerce électronique, etc.). Facebook a ainsi officialisé, le 18 octobre dernier, un plan de plusieurs milliards de dollars et 10.000 postes à pourvoir sur le sol européen, pour proposer dans quelques mois sa version intitulée « Horizon Worlds », accessible par l’intermédiaire d’un casque de réalité virtuelle.
Aujourd’hui, les Métavers se sont essentiellement développés dans le domaine des jeux vidéo :
Ces expériences immersives soulèvent de nombreuses questions pour le juriste en propriété intellectuelle notamment en droit d’auteur (1), en droit des marques (2), ou encore en matière de droit à l’image (3).
Le Code de la propriété intellectuelle impose que chacun des droits cédés sur une création face l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation soit délimité quant à son étendue, sa destination, son lieu et sa durée (article L131-3 alinéa 1er).
Le Métavers représentant une innovation technologique radicale, reposant sur un écosystème autonome avec de nouvelles sources de monétisation, ne devra on pas considérer qu’il s’agit bien d’une nouvelle « destination » pour l’exploitation des œuvres, justifiant qu’il y soit fait explicitement référence dans les actes de cession correspondants ? Par exemple, l’entreprise de maroquinerie qui souhaiterait faire la promotion dans un Metavers de « clones » digitaux de ses propres sacs à mains ou bagages devrait anticiper cette exploitation en amont, dès la signature du contrat avec le designer de ses collections. De même, si cette entreprise entend faire customiser, pour une exploitation dans un métavers, ses créations de maroquinerie et les convertir ensuite en NFT (Non Fongible Token) afin d’en garantir l’unicité digitale, elle devra s’assurer d’obtenir de la part du crypto artiste avec lequel elle collabore toutes les autorisations de propriété intellectuelle à cet effet.
Il sera ainsi plus prudent de rédiger les clauses de cession dans les contrats couvrant expressément les exploitations Métavers, au-delà des exploitations digitales « traditionnelles » (Internet, réseaux sociaux, etc.). La clause anticipant les modes d’exploitation non-prévisibles ou non-prévus à la date du contrat (L131-6 du Code précité) pourrait ne pas offrir une sécurité juridique suffisante, compte tenu de la radicalité de la disruption du phénomène Métavers.
Les Métavers vont ainsi probablement impacter la rédaction de nouvelles clauses IP rédigées par des praticiens qui devront faire preuve de créativité pour couvrir toute la diversité de ces nouveaux univers.
Peut-on considérer qu’une publicité de marque dans un Métavers constitue un usage à titre de marque ? En pratique, s’il permet de distinguer ses produits et services de ses concurrents, l’usage remplit les conditions d’un usage à titre de marque.
Peut-on ensuite considérer qu’une telle publicité constitue un usage dans la vie des affaires ? Si la Cour de justice de l’Union européenne a explicité la fonction de publicité de la marque dans l’arrêt Google du 23 mars 2010, l’utilisation de la marque dans un Métavers semble bien susceptible d’entrer dans la fonction de publicité de la marque tant qu’elle en fait la promotion.
Ce nouveau moyen de visibilité séduit les entreprises désireuses d’étendre leurs opérations marketing. Elles devront donc vérifier que leur couverture de marque est adaptée aux activités quelles déploieront dans le cadre de ces nouveaux univers digitaux.
Si le produit objet de la publicité n’a qu’une existence numérique (par ex. des accessoires, tels que vêtements, équipements, etc. destinés aux avatars), donc distinct du produit physique, les titulaires de marques devront explorer pour leurs dépôts de nouveaux territoires de protection autour des classes 9 (logiciels), 28 (jeux vidéo), 38 (partage d’images et de contenus vidéos), ou encore 42 (services informatiques destinés à des communautés virtuelles).
Les Métavers ne seront pas une zone de non droit et les usages non autorisés de marque qui s’y dérouleront seront susceptible d’être qualifiés de contrefaçon de marque, au même titre que les usages non autorisés du monde « traditionnel ».
Les Métavers devraient également soulever de nombreuses questions juridiques en matière de droit à l’image, du fait notamment de la multiplication des avatars.
Quid d’un internaute qui créé un avatar reproduisant les caractéristiques physiques d’une personne connue, comme Donald Trump ou Lionel Messi, même hors de toute finalité commerciale ? Une entreprise de pari sportif pourrait-elle utiliser l’image de célèbres footballeurs pour les avatars du Métavers qu’elle aura développé pour ses joueurs ?
Les arrêts Polnareff et Delarue, dans lesquels il a été jugé que l’utilisation d’un sosie sans consentement, et à des fins exclusivement commerciales, causait une atteinte au droit à l’image offre déjà une première réponse transposable aux Métavers.
Les Tribunaux seront certainement saisis de ces questions dans un futur proche.
Le juriste IP devra donc lui aussi faire preuve de créativité et d’agilité pour adapter ses pratiques au phénomène des Métavers et mettre en place la sécurité juridique indispensable au développement des multiples activités économiques qui se grefferont sur ces mondes digitaux.
Un séminaire animé par Vincent Fauchoux (avocat associé DDG), le Professeur Jean Michel Bruguière (avocat of counsel), Jacques Beaumont (avocat DDG) et Pauline Fournié (avocat DDG).