En 2016, la société TDF, principal opérateur de réseau TNT, a pris le contrôle exclusif de la société Itas dans le cadre d’une opération d’acquisition située en dessous des seuils prévus par le règlement européen 139/2004 sur le contrôle des concentrations et par le code de commerce français.
Estimant que cette opération de concentration, qui n’a donc pas fait l’objet d’une notification ni d’un examen au titre du contrôle préalable des concentrations, entrave la concurrence sur les marchés de gros amont et aval de la diffusion des services de TNT, Itas a saisi l’ADLC d’une plainte qui a été rejetée puis a formé un recours devant la cour d’appel de Paris.
La Cour d’appel de Paris a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle concernant la possibilité pour une autorité nationale de concurrence de contrôler a posteriori, compte tenu de l’interdiction de l’abus de position dominante prévue par le droit de l’Union, une opération de concentration réalisée par une entreprise en position dominante, lorsque cette concentration reste en deçà des seuils de chiffres d’affaires pertinents prévus par le règlement sur le contrôle des concentrations et par le droit national des concentrations et qu’elle n’a donc pas fait l’objet d’un contrôle ex ante en ce sens.
Dans son arrêt du 16 mars 2023, la Cour juge qu’une opération de concentration de dimension non communautaire peut faire l’objet d’un contrôle par les autorités nationales de concurrence et par les juridictions nationales au titre de l’effet direct de l’interdiction de l’abus de position dominante prévue par le droit de l’Union, recourant pour cela à leurs propres règles procédurales.
Selon la Cour, le système du guichet unique instauré par le règlement sur le contrôle des concentrations constitue un instrument procédural spécifique. Il est exclusivement applicable aux concentrations d’entreprises impliquant des modifications structurelles importantes dont l’effet sur le marché s’étend au-delà des frontières d’un État membre.
Il n’y a pas lieu d’en déduire que le législateur de l’Union a entendu rendre sans objet le contrôle opéré au niveau national d’une opération de concentration au regard de l’interdiction des abus de position dominante prévue par le droit primaire. Par conséquent, le contrôle préalable des opérations de dimension communautaire mis en place par le règlement sur le contrôle des concentrations n’exclut pas un contrôle ultérieur des opérations de concentration n’atteignant pas ce seuil : certaines concentrations peuvent échapper à un contrôle préalable mais faire l’objet d’un contrôle ultérieur.
Lors d’un tel contrôle ultérieur au regard de l’interdiction d’abus de position dominante, l’autorité saisie doit vérifier si l’acquéreur qui est en position dominante sur un marché donné et qui a pris le contrôle d’une autre entreprise sur ce marché a, par ce comportement, entravé substantiellement la concurrence sur le même marché.