Nous attirons votre attention sur la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine1 qui comporte une disposition relative au droit reproduction de l’image des biens tout à fait importante. Votre pratique vous conduit en effet souvent à représenter (ou à faire représenter) dans des visuels, des films…des monuments historiques qui peuvent être concernés par ce nouveau texte.
Selon l’article L. 621-42. Du Code du patrimoine :
« L’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national. Cette autorisation peut prendre la forme d’un acte unilatéral ou d’un contrat, assorti ou non de conditions financières. La redevance tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation. L’autorisation mentionnée au premier alinéa n’est pas requise lorsque l’image est utilisée dans le cadre de l’exercice de missions de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d’enseignement, de recherche, d’information et d’illustration de l’actualité. Un décret en Conseil d’Etat définit les modalités d’application du présent article ».
Cette disposition brise ouvertement une jurisprudence du tribunal administratif d’Orléans2 et de la Cour administrative de Nantes3. Ces juges avaient en effet jugé, à propos de la reproduction de l’image du château de Chambord dans une publicité pour le compte de la société Kronenbourg que :
« la photographie d’un bien du domaine public immobilier, qui n’est, par elle-même, affectée ni à l’usage direct du public, ni à un service public et ne constitue pas un accessoire indissociable de ce bien, ne constitue pas un bien du domaine public ; que par suite, l’utilisation par un tiers de cette photographie ne s’analyse ni comme une occupation, ni comme une utilisation du domaine public, susceptible de donner lieu au paiement d’une redevance en application de l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques »4.
En clair, l’annonceur, n’avait pas à demander l’autorisation au gestionnaire du domaine national et à rémunérer l’exploitation de cette image qui ne composait pas le domaine public au sens du droit administratif (sauf au gestionnaire à démontrer un trouble du fait de la diffusion de l’image)
Tout est modifié ici !
L’article L. 621-42 met en jeu le droit de reproduction de l’image des biens qui constituent les domaines nationaux. Le décret qui doit être adopté prochainement devrait définir ces biens du domaine national. Quoiqu’il en soit, cette disposition semble tout à fait critiquable. Les biens qui composent ces domaines nationaux sont en effet des biens du domaine privé ou des biens du domaine public. S’il s’agit des biens du domaine privé, ils sont soumis à la jurisprudence de la première chambre civile de la Cour de cassation qui a jugé que :
« le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; qu’il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal »5.
Le gestionnaire d’un domaine national relevant de la propriété privée ne devrait donc pas être en mesure d’autoriser la reproduction de l’image de son bien (sauf à considérer, là encore, que la loi a brisé cette jurisprudence). Et s’il s’agit des biens du domaine public, le code général de la propriété des personnes publiques n’établit pas plus de propriété de l’image des biens6.
Ajoutons que les droits d’auteur de l’architecte sur l’immeuble seront le plus souvent tombés dans le domaine public concernant ces immeubles qui appartiennent au patrimoine national. Le droit ainsi créé vient donc se greffer sur un bien qui ne devrait plus donner prise à une quelconque propriété intellectuelle.
L’article L. 621-42 ne concerne que les biens immobiliers. Aucun droit de reproduction n’est consacré sur les biens mobiliers ce qui créé une distorsion incompréhensible au sein de la propriété, privée ou publique7.
L’image des biens immobiliers du domaine national doit être exploitée à des fins commerciales ce qui correspond bien à votre pratique. Les nombreuses exceptions prévues par le texte8 (utilisation à des fins culturelles, de service public, d’actualité, pédagogique, artistique) qui dispensent de l’autorisation ne vous concernent a priori pas.
Le gestionnaire est fondé, au moyen d’un acte unilatéral (un règlement par exemple) ou d’un contrat (une licence) d’autoriser ce droit de reproduction. L’autorisation sera gratuite ou payante mais dans le cadre d’une exploitation publicitaire, il est fort probable qu’elle soit consentie à titre onéreux. La redevance, précise enfin le texte, prend en compte les avantages de l’utilisation de l’image pour le contractant. Cela conduira vraisemblablement le gestionnaire à prendre en compte la nature de l’opération commerciale (édition de cartes postales, de produits dérivés ; usage de l’image de l’immeuble dans une publicité…) et son ampleur.
Cette para-propriété intellectuelle qui ne dit pas son nom devrait utilement être contestée devant le conseil constitutionnel. Elle nous semble en effet contraire à de nombreux principes.
1 LOI n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine JORF n°0158 du 8 juillet 2016
2 TA Orléans D. 2012 p. 2222 note J.-M Bruguière
3 CAA Nantes 16 décembre 2005 N° 12NT01190. A noter toutefois que la Cour administrative de Nantes envisageait le principe de la responsabilité de l’annonceur pour ne pas avoir demandé l’autorisation au gestionnaire du demandeur.
4 La formule est ici celle du tribunal administratif d’Orléans
5 Ass. plén., 7 mai 2004, Bull. civ. no 10
6 La propriété visée dans ce code est une propriété exclusivement matérielle.
7 Pour les biens mobiliers du domaine public, voir la décision du Conseil d’Etat du 29 octobre 2012 (CE 29 octobre 2012 n° 341173) qui ne concerne que les conditions d’occupation du bien immobilier pour la réalisation des photographies.
8 Qui s’inspirent d’une logique d’exceptions au droit d’auteur et au droit voisin.