Au secours, le droit à rémunération du fait de l’indexation revient !
Un amendement au projet de loi « Liberté de création, architecture et patrimoine », examiné en première lecture du Sénat, vise à introduire dans notre Code de la propriété intellectuelle un droit à rémunération au profit des auteurs d’œuvres d’art plastiques, graphiques et photographiques ou de leurs ayants droit pour le fait de l’exploitation en ligne (reproduction et représentation) des images par les moteurs de recherche et de référencement.
Ce droit à rémunération serait assuré par une société de gestion collective (vraisemblablement l’ADAGP) selon des modalités qui n’appellent pas de commentaires, tant elles sont aujourd’hui connues (la rémunération est proportionnelle ou forfaitaire, le barème est déterminé, par la voie conventionnelle, ou par la voie administrative, à défaut d’accord des « parties intéressées »… si l’on peut les nommer ainsi).
Ce dispositif fait suite à celui qui a été proposé, il y a trois ans, par les éditeurs de presse, afin d’instituer un curieux droit voisin d’indexation de contenus d’actualité sur lequel nous avions déjà émis les plus fortes réserves1.
La philosophie est ici semblable : la captation de valeur économique par certains opérateurs économiques (les moteurs de recherche et de référencement). Selon le préambule de cet amendement, le texte :
« vise à instaurer un mécanisme permettant d’assurer la rémunération des auteurs d’œuvres d’art plastiques, graphiques et photographiques ou de leurs ayants droit pour les images que les moteurs de recherche et de référencement s’approprient aujourd’hui sans autorisation et mettent à la disposition du public sur internet ».
La philosophie est semblable mais le mécanisme change. Ici plus de droit voisin, mais un nouveau mode de gestion collective obligatoire organisé dans les termes suivants.
Selon l’article 10 ter du projet de loi :
« Art. L. 136-1. – I. – La publication d’une œuvre d’art plastique, graphique ou photographique par un service de communication en ligne emporte cession du droit de reproduction et du droit de représentation de cette œuvre par des services de moteur de recherche et de référencement, au profit d’une ou plusieurs sociétés régies par le titre II du livre III de la présente partie et agréées à cet effet par le ministre chargé de la culture.
– II. – Les sociétés agréées sont seules habilitées à conclure toute convention avec les éditeurs des services de moteur de recherche et de référencement aux fins d’autoriser leur reproduction et leur représentation par ces services et de percevoir les rémunérations correspondantes fixées selon les modalités prévues à l’article L. 136-3. Les conventions conclues avec ces éditeurs prévoient les modalités selon lesquelles ils s’acquittent de leurs obligations de fournir aux sociétés agréées le relevé des exploitations des œuvres et toutes informations nécessaires à la répartition des sommes perçues aux auteurs ou leurs ayants droit ».
Disons-le clairement. Ce dispositif est totalement intenable et l’amendement devrait être fermement rejeté. Il méconnait, en effet, à la fois la liberté de référencement des moteurs de recherche et la propriété des auteurs.
Nos chers sénateurs vont devoir relire attentivement l’important arrêt Svensson de la Cour de justice de l’Union européenne qu’ils ignorent ici superbement2 :
« Il y a lieu de constater que, lorsque l’ensemble des utilisateurs d’un autre site auxquels les œuvres en cause ont été communiquées au moyen d’un lien cliquable pouvaient directement accéder à ces œuvres sur le site sur lequel celles-ci ont été communiquées initialement, sans intervention du gérant de cet autre site, les utilisateurs du site géré par ce dernier doivent être considérés comme des destinataires potentiels de la communication initiale et donc comme faisant partie du public pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsque ces derniers ont autorisé la communication initiale ».
En clair, une représentation implique une communication des œuvres à un public et à un public nouveau. Or ici, en l’absence de mesures de protection des images, les moteurs de recherches ne réalisent aucune communication à un public nouveau des œuvres. En l’absence d’acte de représentation, il n’y a donc aucune violation d’exclusivité, ni rémunération à percevoir au profit des auteurs ou des ayants droits.
Selon une expression populaire : « on ne peut pas faire le bonheur des gens malgré eux ». C’est précisément ce que font ici nos sénateurs, pour nombre d’auteurs. Expliquons-nous.
Dans un modèle propriétaire, les artistes d’œuvres plastiques, graphiques et photographiques, qui sont dotés d’une certaine notoriété, peuvent choisir de protéger leurs créations en ligne en empêchant, au moyen de certains moyens techniques (l’utilisation de balises notamment), l’indexation des images. Le dispositif ici présenté conduit donc, d’une part, à déposséder ces auteurs de ce droit d’indexation, puisque celui-ci a été accordé à une société de gestion collective sans le moindre consentement et, d’autre part, à accorder une rémunération qui n’a jamais été discutée. Une vente forcée à prix imposé en quelque sorte qui méconnait clairement le droit de propriété et la liberté contractuelle (sans jamais donner la possibilité, comme dans d’autres systèmes de gestions collectives3, aux auteurs de s’y soustraire).
Dans un modèle non propriétaire, notamment pour les auteurs qui ont opté pour des licences sous Creative Commons, l’atteinte est tout aussi évidente. Ces créateurs ont effet choisi de laisser certaines de leurs œuvres à libre disposition, sans revendiquer le moindre revenu. Pourquoi dès lors leur imposer ce système et la rétribution d’une indexation, dont nous avons vu, qu’elle était a priori libre ?
Pour les éditeurs de presse, hier, comme pour les auteurs d’œuvres plastiques, graphiques, et photographiques, aujourd’hui, il va falloir encore faire un petit effort pour fonder ce droit à rémunération (à supposer qu’il faille le reconnaître, ce qui est un autre débat).
1 J.-M Bruguière, "Quand les éditeurs de presse revendiquent un Canada dry des droits voisins", D. 2013 p. 26
2 CJUE 13 février 2014 affaire C‑466/12
3 Que l’on songe à la gestion collective des livres indisponibles