Voici une décision de la Cour de cassation1 qui aborde plusieurs questions pratiques importantes à propos d’un contrat d’édition assorti d’un pacte de préférence, et qui rappelle une règle importante sur l’incidence de la résiliation d’une convention portant sur une œuvre de collaboration.
Denis X conclut plusieurs contrats d’édition musicales avec la société Artist plus.
Ces contrats sont assortis d’un pacte de préférence conclu pour une durée de quatre années. L’on apprend à la lecture de l’un des moyens produits à la suite de l’arrêt, que, selon le pacte de préférence :
« l’auteur s’oblige à soumettre à l’éditeur toutes ses œuvres, futures ou déjà écrites, afin de lui permettre de lever l’option dans un délai de trois mois à compter de la remise d’un manuscrit définitif ».
Il est en outre stipulé, ce qui est déjà très bien de l’avoir prévu2, qu’en cas d’œuvre de collaboration :
« l’auteur doit préalablement informer ses collaborateurs de l’existence du pacte de préférence et faire ses meilleurs efforts pour que le coauteur signe au profit de l’éditeur le contrat de cession et d’édition d’œuvre musicale ».
Les relations entre les parties se dégradent, Denis X reprochant à la société Artist plus d’avoir manqué à son obligation d’exploitation permanente et suivie de ses œuvres.
Suite à l’assignation de la société, l’éditeur sollicite reconventionnellement la condamnation de Monsieur X pour la violation du pacte de préférence ; celui-ci ayant en effet cédé une œuvre intitulée « Celui » à la société Step qui était la société de l’un de ses coauteurs.
Trois problèmes importants étaient posés dans cet arrêt :
Sur ce point, la première chambre civile juge « qu’appréciant, d’une part, la portée de la régularisation relative à l’exploitation de l’œuvre intitulée « Celui », intervenue entre les sociétés Step et Artists plus, de telle sorte que cette dernière était inscrite à la SACEM en qualité de coauteur, d’autre part, les circonstances dans lesquelles la société Artists plus avait levé l’option pour une coédition de l’œuvre intitulée « Que les masques tombent », la cour d’appel a souverainement estimé que la société éditrice ne justifiait pas d’une violation du pacte de préférence par M. X…, ouvrant droit à indemnisation ».
L’on aura compris que Monsieur X avait cédé ses droits à la société de son coauteur (le parolier). Cette société et la société Artist plus avaient finalement conclu une convention par laquelle ils se déclaraient coauteur de l’œuvre litigieuse.
Cette qualité apparaissant bien sur les regsitres de la SACEM. Les juges considèrent que l’on ne peut dès lors s’en tenir à une lecture stricte de l’article 1147 du code civil selon lequel :
« Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ».
Si le musicien n’avait pas respecté son pacte en proposant son œuvre à la société du coauteur, parolier, cette violation de la priorité avait été purgée avec la conclusion du contrat de coédition. La régularisation est précisément définie comme « l’action de purger un acte ou une situation du vice formel qui l’entache en réparant celui-ci par une initiative positive »3. Si l’on préfère, le comportement du créancier4 du pacte révélait clairement sa volonté de ne pas engager la responsabilité contractuelle du débiteur.
Ce deuxième point aborde la question de l’incidence de la résiliation des contrats d’édition sur le pacte de préférence. La première chambre civile souligne ici :
« qu’ayant retenu, dans l’exercice de son pouvoir souverain, la nécessité du lien de confiance unissant l’auteur à son éditeur et l’existence d’un lien intime entre le pacte de préférence et les contrats de cession et d’édition, elle a ainsi caractérisé l’indivisibilité des conventions en cause ».
L’auteur n’est donc plus tenu par ce pacte. La raison de l’indivisibilité du pacte et des contrats d’édition est dans la relation de confiance qui se développe entre l’auteur et l’éditeur. Cette affectio contractus a été à plusieurs reprises constaté par le juge et elle nous semble très juste. Un petit jugement du TGI de Paris a pu souligner que l’éditeur doit « dans un climat de confiance réciproque » assurer la « protection (du) patrimoine moral et intellectuel (de l’auteur) »5. L’indivisibilité entre le pacte et le contrat d’édition n’est pas légale.
L’article L. 132-4 du CPI qui encadre le pacte de préférence ne dit rien en effet à ce sujet. Les parties n’avaient pas elles-mêmes organisé cette indivisibilité comme cela peut se faire en pratique. Cela n’empêche pas le juge de la découvrir lorsqu’il s’avère que chacun des contrats a été conclu en considération de l’autre (ou que les contrats sont à ce point économiquement interdépendants qu’ils se servent mutuellement de cause6).
Le « lien intime » auquel fait allusion la Cour fait certainement référence à cette idée que le pacte de préférence a été conclu en considération des contrats d’édition, peu importe la technique contractuelle suivie pour organiser cette préférence7. En conséquence l’annulation, la résolution, la résiliation de l’un entraine la caducité des autres. Si l’auteur n’a plus confiance dans son éditeur, il n’y a aucune raison de maintenir ce lien de confiance pour le pacte de préférence. Celui-ci est anéanti. Ceci est parfaitement jugé et l’a d’ailleurs déjà été dans le passé à propos de résolution8.
La position de la Cour d’appel n’est pas approuvée sur le troisième point. L’un des coauteurs, Monsieur Y, s’était en effet opposé à la demande de résiliation des contrats formulée par Monsieur X. Pour la Cour d’appel, ce n’était pas un obstacle.
« L’opposition de M. Y…, coauteur desdites œuvres, à la demande de résiliation formée par M. X…, ne vaut que pour ses propres liens contractuels avec la société éditrice et ne fait pas obstacle au prononcé de résiliation à l’égard de M. X. L’arrêt est cassé au visa de l’article L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle. Attendu que l’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs qui doivent exercer leurs droits d’un commun accord, sauf à saisir la juridiction de leur différend. Attendu que, pour prononcer aux torts exclusifs de la société Artists plus la résiliation des contrats de cession et d’édition sur les œuvres de collaboration « Toujours là » et « Boom Boom », et la condamner à payer à M. X… une certaine somme à titre de dommages-intérêts, l’arrêt retient que l’opposition de M. Y…, coauteur desdites œuvres, à la demande de résiliation formée par M. X…, ne vaut que pour ses propres liens contractuels avec la société éditrice et ne fait pas obstacle au prononcé de résiliation à l’égard de M. X… ; Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Là encore, l’arrêt de la première chambre civile mérite une entière approbation. L’œuvre de collaboration est, comme on le sait, une propriété indivise qui est gouvernée par le principe d’unanimité. En conséquence de ce principe, il a été jugé que l’édition réalisée à défaut d’accord de l’un d’eux constitue une contrefaçon9. De la même manière, il doit être procédé à la résiliation du contrat d’édition par tous les coauteurs10, comme cela est dit dans cette décision, sauf à considérer qu’en présence de plusieurs contrats, la résiliation faite par l’un des coauteurs (compositeur) devait entraîner résiliation du contrat existant avec l’autre (parolier) de par l’interdépendance des conventions11.
Mais manifestement, nous n’étions pas dans ce cas de figure. Un seul contrat, et non plusieurs, ayant été conclus. Les difficultés relatives aux contrats de collaboration étant fréquentes, comme en témoigne cette décision, il est recommandé d’établir une convention d’indivision entre les coauteurs.
1 Cass. civ. 1° 14 octobre 2015 n° 14-19214 Monsieur X C/ Artist Plus
2 Que se passe-t-il en effet lorsqu’un auteur, lié par un pacte avec un éditeur, crée de nouvelles œuvres avec plusieurs auteurs ? Ces derniers sont-ils tenus de publier chez cet éditeur ? Non : 1165 du Code civil. Oui (une fois de plus) si on l’organise.
3 « Régularisation », Vocabulaire juridique de l’association Capitant sous la direction de Gérard Cornu, PUF, 1996, 6° éd.
4 B. Fages, « Le comportement du contractant », PUAM 1997, Préf. J. Mestre
5 TGI Paris, 15 févr. 1984, D. 1984. IR. 291, obs. Colombet ; RIDA 1984, no 120, 179.
6 J.-B Seube, « L’indivisibilité et les actes juridiques », Litec 1999
7 Techniquement, il y a deux manières d’organiser la préférence. La plus courante, au moins dans le domaine littéraire, est celle qui consiste à insérer le pacte dans le premier contrat d’édition. L’on peut aussi envisager une sorte de contrat cadre, comme en matière de distribution, qui prépare l’application de contrats individuels d’édition
8 CA Paris, 24 nov. 1987, RIDA 1988/1, p. 96 ; JurisData no 027773
9 Civ. 1re, 19 mai 1976, Bull. civ. I, p. 195 ; RIDA 1977, janv., 104 ; RTD com. 1977. 326, obs. Desbois, et, sur renvoi,Amiens, 17 avr. 1978, D. 1978. 557, note Desbois. –Paris, 4e ch., 14 nov. 1991, JurisData no 1991-024177. De même encore les droits d'exploitation d'une œuvre audiovisuelle ne peuvent être cédés que d'un commun accord des coauteurs, la cession prétendument faite par l'un d'eux devant être réputée frauduleuse et l'exploitation faite contrefactrice (Paris, 4e ch., 7 juin 1995, préc.).
10 Paris, 16 déc. 1932, Gaz. Pal. 1933, 1, p. 368.
11 Civ. 1re, 3 avr. 2001, JCP 2001. IV. 2021 ; JCP E 2001. 975 ; JurisData no 2001-009002.