Les dernières Rencontres nationales de la librairie qui se tenaient à Bordeaux les 2 et 3 juin dernier ont été l’occasion de revenir sur les risques de contournement de la loi du 10 août 1981 qui permet aux éditeurs de fixer le prix des livres et dont les objectifs affichés sont le maintien d’un réseau décentralisé très dense de librairies et le soutien du pluralisme dans la création et l’édition. En effet, la ministre de la culture et de la communication a évoqué l’avantage concurrentiel de certains distributeurs numériques internationaux et a assuré qu’elle réfléchissait à l’interdiction de cumuler des frais de port gratuits et la réduction de 5% sur le prix des livres.
Pour rappel, la question de savoir si l’offre gratuite de frais de port est une pratique entrant dans les prévisions de la loi du 10 août 1981 a été portée devant les juridictions l’occasion de deux litiges opposant le Syndicat de la librairie française (SLF) et la société Alapage.com, d’une part et la société Amazon.fr, d’autre part.
Dans l’affaire Alapage.com, Le tribunal de grande instance de Créteil, dans un jugement du 25 janvier 2005 a décidé notamment que les opérations de gratuité de frais de port par les sociétés Wanadoo et Wanadoo e-merchant étaient en contravention avec les dispositions de la loi du 10 août 1981. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 23 mai 2007 a confirmé la décision de première instance en estimant que « les frais de port étant normalement à la charge de l’acheteur, le seul fait pour le vendeur, dans un but de promotion et d’incitation à l’achat, d’annoncer au client auquel le lie un contrat à titre onéreux, qu’il assume lui-même le paiement de la livraison et d’en faire un service gratuit caractérise la prime au sens des articles 6 de la loi du 10 août 1981 et L.121-35 du code de la consommation ». La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 6 mai 2008 a cassé et annulé en ses seules dispositions relative à l’offre de frais de port gratuits et au montant des dommages-intérêts alloués au SLF l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris « en statuant ainsi, alors que la prise en charge par le vendeur du coût afférent à l’exécution de son obligation de délivrance du produit vendu ne constitue pas une prime au sens des dispositions du Code de la consommation, la cour d’appel a violé, par fausse application, les articles L.121-35 du code de la consommation et 6 de la loi du 10 août 1981» (Pour un commentaire de cette décision voir Legipresse n°254-septembre 2008 A qui profite le prix unique du livre ? Pierre Deprez)
Dans l’affaire Amazon.com, le 5 janvier 2004, le SLF a assigné cette société pour faire juger notamment que la gratuité des frais de port appliquée depuis 2002 à la vente de livres contrevenait à l’interdiction des ventes à primes de l’article 6 de la loi du 10 août 1981, qu’elle équivalait à une vente à perte pour les livres peu coûteux et qu’elle constituait également une concurrence déloyale.
Le tribunal de grande instance de Versailles, dans un jugement du 11 décembre 2007 a décidé que « la livraison franco de port, qui génère une vente à perte pour les ouvrages à prix modeste et une concurrence déloyale, constitue donc une prime prohibée qu’il s’impose d’interdire». Un appel a été interjeté contre la décision du tribunal de grande instance de Versailles et Amazon a obtenu dans le même temps la suspension de l’exécution provisoire du jugement de première instance.
La question d’une modification de la loi du 10 août 1981 s’inscrit dans le cadre de la réflexion sur les suites à donner aux propositions de la mission sur l’avenir de la librairie qui proposait déjà en mai 2012 d’interdire la gratuité des frais de port et de supprimer le rabais de 5% sur le prix des livres.
Ces propositions radicales tendent à faire de la loi du 10 août 1981 une barrière totale à la concurrence entre les détaillants, laquelle est pourtant favorable aux consommateurs. Si ces mesures devaient être suivies par le législateur, elles risqueraient de recevoir un accueil glacial de la part de l’Autorité de la concurrence et de la Commission européenne qui a déjà exprimé de fortes réserves sur la compatibilité avec le droit de l’Union européenne de la loi sur le prix du livre numérique adoptée le 26 mai 2011.