Traditionnellement, la réglementation française interdit d’accès à la publicité télévisée certaines catégories de produits ou services, les « secteurs interdits de publicité TV ». Ces interdits répondent à deux types de préoccupations : pour certains secteurs, il s’agit de protéger le consommateur (comme l’interdit de publicité à l’égard de l'alcool, pour des raisons de santé publique) ; pour d’autres secteurs, les raisons sont d’ordre économique, afin de préserver un équilibre entre les différents supports bénéficiaires des investissements publicitaires.
Cette deuxième catégorie d’interdits est une spécificité française. Elle s’inscrit dans une tradition d’ordre public économique consistant à protéger certains médias, en particulier la presse, et certains annonceurs du secteur de la culture. L’idée générale était de réserver aux premiers certains achats d’espaces, et de dispenser les seconds de coûteux investissements à la télévision.
Mais à l’heure où la publicité digitale prend de plus en plus en plus d’importance face à la télévision, ces interdits ont de moins en moins de sens.
C’est dans ce contexte qu’intervient ce Décret n°2024-313 du 5 avril 2024, qui vient modifier le Décret n°92-280 du 27 mars 1992 relatif à la publicité à la télévision, qui avait donc posé des interdictions pour certains produits ou activités :
- L’édition littéraire, afin d’éviter un accès exclusif des grandes maisons d’édition au détriment des petites structures et protéger le secteur de la presse écrite dont une partie non négligeable des ressources provient de la publicité pour l’édition littéraire. Ce secteur a néanmoins déjà été ouvert aux services de télévision du câble et du satellite en 2003.
- Le cinéma, afin de protéger l’industrie de la production cinématographique française et européenne, afin d’éviter que les écrans publicitaires ne soient monopolisés par les publicités en faveur des œuvres cinématographiques américaines.
- La presse, pour favoriser le pluralisme et éviter la publicité politique indirecte. Cependant, la presse écrite peut communiquer par des parrainages ou coproductions d’émissions dans certaines conditions.
- La distribution, afin de protéger les sources de financement de la presse écrite, et notamment, de la presse quotidienne et régionale dont les ressources proviennent en partie de la publicité en faveur du secteur de la distribution. Cette interdiction a été légèrement assouplie, en tolérant l’accès des producteurs aux écrans publicitaires. Sont considérées comme producteurs les entreprises qui sont à l’origine de la conception initiale des produits commercialisés sous leur propre marque, qui maîtrisent tout le processus de fabrication, et qui réalisent la majorité de leur chiffre d’affaires global grâce à la vente de ces produits. Si ces trois conditions sont remplies, ce distributeur, même s’il n’est pas lui-même le fabricant des produits, pourra accéder à la publicité télévisée. Toutefois, au cours du message publicitaire, aucune référence à son circuit de distribution ne pourra être faite.
Le récent décret du 5 avril 2024 a modifié les interdits précités à double titre :
- En premier lieu, il pérennise l'autorisation de la publicité en faveur du cinéma. Cette autorisation avait initialement été prévue à titre temporaire pour dix-huit mois par le décret n° 2020-983 du 5 août 2020, puis avait été prorogée à deux reprises (décret n° 2021-1922 du 30 décembre 2021 pour une période de huit mois puis par décret n° 2022-1290 du 3 octobre 2022 pour une période de dix-huit mois), afin de tenir compte du caractère atypique de la période liée à la crise sanitaire et à la fermeture des salles de cinéma. L'insuffisance de données ne permettait pas d'apprécier pleinement les conséquences de cette pratique. Un nouveau bilan évaluant l'impact sur l'industrie cinématographique et les recettes publicitaires des autres médias (radios, presse écrite et affichage) a été élaboré en 2023 puis publié en janvier 2024. Il conclut que l'autorisation a eu un impact négligeable sur les transferts de budgets publicitaires entre médias et constate la diversité des œuvres promues à la télévision (majorité de films français, budgets relativement variés). Ce bilan relève par ailleurs un effet positif sur la fréquentation en salles, particulièrement en province.
- En second lieu, il autorise pour une période de deux ans la publicité pour le secteur de l'édition littéraire. Au plus tard trois mois avant l'échéance des deux ans d’autorisation, le Gouvernement publiera un rapport évaluant l'impact de cette autorisation temporaire notamment sur le secteur de l'industrie du livre afin de se prononcer sur les suites à donner à cette autorisation temporaire.
Il faut sans doute se féliciter du déclin des interdits de publicité télévisée d’ordre économique qui apparaissent archaïques, même s’il faut rester vigilant sur le respect des équilibres. Subsistent encore l’interdit relatif aux annonces de promotion des distributeurs, et celui relatif à la presse, pour lesquels l'interdiction reste (pour l’instant) la règle. Le secteur de la presse, concerné par ces deux interdits soit en tant que vendeur d’espace soit en tant qu’annonceur, est sans doute trop fragile économiquement et sensible politiquement pour qu’une dérégulation interviennent à court terme.