En avril 2018, la Commission européenne avait infligé à Altice une amende record – en matière de gun-jumping – d’un montant de 124.5 millions d’euros dans le cadre de son acquisition de l’opérateur portugais de télécommunication, PT Portugal.
La Commission avait sanctionn← deux infractions qui avaient donn← lieu ¢ deux amendes distinctes :
Par un arrêt en date du 22 septembre 2021, le Tribunal de l’Union avait rejeté le recours d'Altice en annulation de la décision de la Commission mais avait néanmoins réduit de 10% l'amende prononcée au titre du non-respect de l’obligation de notification. En effet, avant de signer le contrat d’acquisition d’actions (« SPA »), Altice avait informé la Commission de son projet de concentration puis avait demandé la désignation d’une équipe chargée de traiter son dossier et engagé des discussions de prénotification avec la Commission (y compris en lui envoyant une copie du SPA avec un projet de sa notification), ce dont le Tribunal avait tenu compte pour réduire l’amende prononcée par la Commission.
Dans ses conclusions présentées le 27 avril 2023, l’avocat général Anthony M. Collins invite la Cour de justice à confirmer entièrement l’arrêt rendu le 22 septembre 2021 par le Tribunal de l’Union.
Premièrement, l’avocat général rejette l’argumentaire d’Altice suggérant que les deux infractions prévues aux articles 4 §1 et 7 §1 du règlement n°139/2004 seraient redondantes et donc illégales. En effet, il estime que les deux dispositions imposent des obligations différentes et poursuivent des objectifs autonomes. L'article 4 §1 impose que la notification soit effectuée avant la réalisation de l'opération et dès lors que les parties sont en mesure de présenter un projet suffisamment abouti, tandis que l'article 7 §1 interdit la réalisation anticipée de l’opération en violation de l’effet suspensif de la notification.
Il relève alors qu’elles visent des comportements distincts, « bien que l’existence de ces comportements puisse, dans certains cas, être établie en considérant les mêmes faits ». En effet, la réalisation effective d’une concentration qui n’a pas été notifiée implique nécessairement une violation à la fois de l’article 4§1 (défaut de notification) et de l’article 7§1 (défaut d’autorisation préalable).
Les conclusions soulignent toutefois que le fait d’inciter au respect tant de l’obligation de notification que de l’obligation de suspension en permettant d’infliger des amendes en cas de violation de l’une ou l’autre de ces obligations, ou des deux, permet « de garantir que les concentrations ne passeront pas inaperçues et d’éviter les difficultés qui découlent de l’annulation des concentrations qui créent des problèmes ».
Pour rappel, l’Autorité a déjà fait sienne cette solution, selon nous discutable, dans sa décision n° 22-D-10 selon laquelle ces deux obligations sont distinctes et « poursuivent des objectifs autonomes ».
Il nous semble que l’argument selon lequel les obligations posées à l’article 4§1 (défaut de notification) et à l’article 7§1 (défaut d’autorisation préalable) visent des comportements distincts n’est pas pertinent dans tous les cas. Par exemple, l’entreprise qui aurait mal apprécié la contrôlabilité d’une opération – l’analyse étant parfois très complexe - et qui l’aurait mise en œuvre sans la notifier serait sanctionnée sur ces deux fondements, alors que le seul comportement fautif pouvant selon nous valablement lui être reproché serait l’absence de notification d’une opération contrôlable. À cet égard, il existe une différence très notable entre l’anticipation de la réalisation d’une concentration qui a été notifiée aux autorités compétentes et la réalisation d’une concentration sans notification préalable.
Deuxièmement, alors qu'Altice a fait valoir le manque de transparence dans la fixation des amendes, l'avocat général Collins estime qu'une plus grande transparence ne contribuerait pas au respect du régime communautaire de contrôle des concentrations. Il souligne notamment les risques d'une approche fondée sur le préjudice pour le calcul des amendes. En particulier, une telle approche, qui pourrait se traduire par des amendes plus élevées pour les fusions les plus problématiques, serait contraire au principe selon lequel toute violation au réglement n° 139/2004 devrait être sanctionnée de la même manière. En outre, si les entreprises étaient en mesure de calculer les amendes avec précision, elles pourraient inclure le risque de gun-jumping dans l'analyse coût-bénéfice du non-respect du contrle des concentrations. L'avocat général Collins souligne qu'un certain degré d'imprévisibilité dans le niveau des amendes est nécessaire pour obtenir l'effet dissuasif souhaité.
Là encore, cette argumentation n’est pas exempte de critique, le règlement n° 139/2004 prévoyant déjà une sanction pécuniaire très élevée et dissuasive, pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaires total des entreprises concernées, en cas d’infraction tant à l’article 4§1 qu’à l’article 7§1.
Troisièmement, l’avocat général estime, contrairement à ce que soutenait Altice, que la possibilité d'exercer une influence décisive peut ne pas résulter uniquement d'un transfert d'actions, mais également des dispositions du SPA. Ces conclusions cristallisent une jurisprudence qui doit inviter les parties à des opérations de concentration à être très attentives au contenu du SPA afin de s'assurer qu'il n'accorde pas à l’acquéreur, dans le cadre d’arrangements antérieurs à la clôture de l’opération, des droits de veto sur certains types de décisions stratégiques de la société cible, ce qui entraînerait un contrôle de facto pour l'acquéreur.
Quatrièmement, alors qu’Altice estimait que les arrangements antérieurs à la clôture figurant dans le SPA ne lui donnaient pas le droit d'opposer son veto à l'adoption de décisions stratégiques en ce qu’elles exigeaient seulement son consentement, l'avocat général Collins précise que les droits de veto doivent être interprétés comme signifiant que « les parties à une opération conviennent que le consentement de l’acquéreur est requis pour certaines décisions commerciales affectant l’entreprise cible ». Le Tribunal de l’Union n’aurait donc pas commis d'erreur dans l'utilisation de ce terme dans son jugement.
Enfin, s’agissant des échanges d’informations, l'avocat général Collins rejette l'argument d'Altice selon lequel le Tribunal de l’Union aurait dû les examiner à la lumière de l'article 101 du TFUE prohibant les ententes anticoncurrentielles, plutôt que du règlement n° 139/2004 relatif au contrôle des concentrations. En l’espèce, les échanges d'informations étaient « inhérents au fonctionnement des dispositions relatives au consentement prévues dans les arrangements antérieurs à la clôture et faisaient partie intégrante de l’exercice par Altice d’une influence déterminante sur l’entreprise cible », de sorte que c’est à juste que la Commission les a évalués au regard du règlement n° 139/2004.