Une nouvelle fois, les juridictions françaises ont fait prévaloir le droit de la consommation sur le droit international privé.
Par une ordonnance du 5 mars dernier, le juge de la mise en état près du Tribunal de grande instance de Paris1 a considéré comme abusive la clause du contrat qui « oblige le souscripteur, en cas de conflit avec la société, à saisir une juridiction particulièrement lointaine et à engager des frais sans aucune proportion avec l’enjeu économique du contrat souscrit pour des besoins personnels ou familiaux ».
La genèse du litige ayant conduit à cette décision réside dans la désactivation du compte Facebook d’un internaute après avoir publié la représentation de « l’Origine du Monde » par G. Courbet et le refus de la société Facebook de procéder à sa réactivation. En riposte à cet acte, l’internaute a saisi les juridictions françaises en tant que juridictions du lieu de son domicile.
À titre de rappel, en vertu de l’article 16 du règlement Bruxelles I2, les consommateurs disposent du privilège de saisir les juridictions du lieu de leur domicile en cas de litige les opposant à un professionnel.
Cependant, dans le cas d’espèce, Facebook, une société de droit américain, avait inséré une clause attributive de juridiction au profit des juridictions californiennes dans ses conditions générales d’utilisation (CGU) auxquelles l’internaute avait expressément consenti au moment de l’ouverture de son compte. Ainsi, en raison de la place prépondérante réservée par le règlement à la volonté des parties, les dispositions protectrices des consommateurs (articles 15 et 16) ne pouvaient en théorie s’appliquer empêchant le demandeur de faire valoir ses prétentions.
Par conséquent, celui-ci a assigné la société Facebook devant les juridictions françaises, au mépris de la clause. Or, c’est dans ce cadre-là que e juge de la mise en état près du tribunal de grande instance de Paris, a dû arbitrer entre la prépondérance des règles internes de protection des consommateurs, le désignant compétent, et la clause attributive de juridiction renvoyant vers les juridictions de Santa Clara, valable en application des principes de liberté contractuelle applicables dans l’ordre international.
Plus précisément, le juge a dû trancher entre, d’une part, les arguments de la société Facebook, invoquant l’incompétence des juridictions françaises au motif que son activité n’était pas dirigée vers le public français3 et en raison de l’existence de la clause attributive de juridiction au profit des juridictions californiennes et, d’autre part, ceux du demandeur qui a sollicité sur le fondement des dispositions impératives du Code de consommation que la clause litigieuse soit déclarée abusive et de ce fait non écrite, afin de pouvoir choisir le Tribunal de son lieu de domicile.
Dans un premier temps, le juge rappelle que la validité d’une clause attributive de juridiction doit être envisagée sous l’empire du droit français, et plus particulièrement du droit de la consommation dont l’application est d’ordre public.
Ensuite, le juge de la mise en état analyse la nature du contrat et par conséquent la possibilité de son appréhension par les règles françaises de protection des consommateurs. Plus particulièrement, il considère que les CGU sont un contrat de consommation, étant donné que la société Facebook, ayant pour activité principale la prestation de service de réseau social, agissait en sa qualité de professionnel et que l’utilisateur n’avait aucune capacité de négociation des clauses contractuelles.
En conséquence, le juge considère que la clause attributive de juridiction peut être appréhendée sous l’angle de l’article R.132-2 du Code de la consommation, présumant le caractère abusif des clauses entravant l’accès à la justice pour les consommateurs. Ainsi, il a déclaré la clause litigieuse non écrite au motif que :
« Les difficultés pratiques et le coût d’accès aux juridictions californiennes sont de nature à dissuader le consommateur d’exercer toute action devant les juridictions concernant l’application du contrat et à le priver de tout recours à l’encontre de la société FACEBOOK INC ».
Enfin, après avoir écarté l’applicabilité de la clause litigieuse, le juge a apprécié la compétence du Tribunal de grande instance de Paris au regard des règles internes de compétence, le règlement Bruxelles I disposant que « si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un Etat membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre ».
En conséquence, sur le fondement de l’article L.141-5 du Code de la consommation4 le juge de la mise en état a déclaré le tribunal de grande instance de Paris compétent de juger le fond de cette affaire et a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société Facebook.
Cette solution, rappelle ainsi l’importance accordée aux dispositions nationales d’ordre public relatives à la protection d’une partie considérée comme faible, le consommateur, et la volonté d’assurer la pleine effectivité de son droit d’accéder à la justice.
Finalement, nul besoin de se rendre en Californie pour faire valoir ses droits face au géant des réseaux sociaux !
1 Tribunal de grande instance de Paris du 5 mars 2015, RG n° 12/12401.
2 Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.
3 La lecture combinée des articles 15, c) et 16 du règlement n°44/2001 est de nature à permettre au consommateur de saisir les juridictions de son domicile dès lors que l’activité du professionnel soit dirigée vers l’Etat membre de sa résidence.
4 Aux termes de l’article L.141-5 du Code de la consommation : "le consommateur peut saisir à son choix, outre l'une des juridictions territorialement compétentes en vertu du code de procédure civile, la juridiction du lieu où il demeurait au moment de la conclusion du contrat ou de la survenance du fait dommageable".