Le Crowdfunding (néologisme anglo-saxon signifiant littéralement le « financement par la foule ») désigne les différents modes de financement « participatifs » de projets sur internet.
Le Crowdfunding connaît ces dernières années un véritable essor économique. Selon l’étude menée par le site internet Crowdsourcing.org, près de 1,12 milliard d’euros ont été levés en 2011 sur les quelques 450 plateformes qui existent à travers le monde. Une hausse de 72% des fonds récoltés a été constatée par rapport à 2010. Dernier exemple de Crowdfunding couronné de succès, le réalisateur américain Zach Braff a annoncé le 29 avril dernier avoir levé en 5 jours une somme avoisinant les 2 millions de dollars pour le financement de son projet de film « Wish I was here ».
Ayant à l’origine émergé dans le secteur de la musique, le Crowdfunding s’étend désormais à des domaines aussi divers que la création d’entreprises, la science, le journalisme et le cinéma.
D’un point de vue pratique, une plateforme internet de Crowdfunding propose aux internautes plusieurs projets dans lesquels investir. Les besoins du projet sont chiffrés et la collecte est limitée dans le temps. Si le montant est atteint dans le temps imparti, le projet est financé. Dans le cas contraire, les internautes-investisseurs récupèrent leur argent.
Dans le cas où le projet est mené à bien, se pose la question de la qualification juridique de l’investissement de l’internaute. En effet, une des spécificités du Crowdfunding est son caractère protéiforme : les sites de Crowdfunding ont des modèles économiques très divers. Ainsi, pour chaque modèle économique plusieurs régimes juridiques peuvent se révéler potentiellement applicables.
Tentons tout d’abord de regrouper les sites de Crowdfunding en fonction du type de contrepartie attribuée à l’internaute-investisseur:
Exemples : Anaxago.com, WiSeed.fr (création d’entreprises)
Exemples : MyMajorCompany.com (production musicale), Peopleforcinema (production cinématographique, aujourd’hui rattaché à Ulule.com)
Exemples : Babyloan.org (prêt sans intérêts, création d’entreprises), Friendsclear.com (prêt avec intérêts, création d’entreprises)
Exemples : KissKissBankBank.com, Ulule, Babaldoor.com, Kickstarter.com (aux Etats-Unis), Emphas.is (photojournalisme), Touscoprod.com (cinéma), Octopousse.com
Le Crowdfunding ne connaissant pas de régime juridique spécifique, différentes qualifications sont susceptibles de s’appliquer aux sites internet concernés, selon la « famille » à laquelle ils appartiennent.
Le site de Crowdfunding qui octroie des crédits est censé être titulaire d’un agrément en tant qu’établissement de crédit auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) (art. L. 511-9 et suivants du Code monétaire et financier), ou bien en tant qu’intermédiaire en opérations de banques auprès de la Banque de France et de l’ACP (articles L. 519-1 et suivants du Code monétaire et financier).
Au titre de sa donation effectuée sur un site de Crowdfunding, l’internaute ne bénéficie d’aucun avantage fiscal. En effet, la réduction d’impôt prévue au titre du mécénat des particuliers ne concerne que les dons qui financent une œuvre ou un organisme à caractère d’intérêt général (art. 200 du Code général des impôts). Quant aux porteurs de projets, ils sont susceptibles d’être taxés à l’impôt sur les sociétés en France sur les dons qu’ils reçoivent.
Le mode de financement par entrée au capital de porteurs de projets est soumis aux règles relatives aux offres au public de titres financiers (notamment articles L. 211-2 du règlement général de l’AMF et L. 411-2 du Code monétaire et financier) et à l’obligation pour le site internet d’être titulaire d’un agrément spécifique auprès de l’ACP.
La société créée de fait désigne « la situation dans laquelle deux ou plusieurs personnes se sont comportées en fait comme des associés, sans avoir exprimé la volonté de former une société » (G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit commercial, t. 1 : LGDJ, 18e éd., 2002, par M. Germain, n° 1056-39). Cette qualification est susceptible d’avoir de lourdes conséquences, en ce qu’elle induit l’application du régime juridique de la société en participation (art. 1873 à 1873 du Code civil).
S’agissant d’une œuvre audiovisuelle, le coproducteur est « la personne physique ou morale qui prend l’initiative et la responsabilité de la réalisation de l’œuvre » et qui participe « au risque de la création de l’œuvre » (Civ. 1e 14 novembre 2012, n°11-21.276). L’internaute qui verse une somme définie en vue de la création d’une œuvre est, en théorie au moins, susceptible de répondre à cette définition. Les conséquences d’une telle qualification peuvent être importantes, notamment du point de vue de la propriété des éléments corporels et incorporels du film.
Les plateformes de crowdfunding cherchent bien entendu à encadrer ces différentes qualifications juridiques, afin de s’orienter vers le régime juridique qu’elles jugent le plus adapté à leur activité. A ce titre, les Conditions Générales d’Utilisation (CGU) peuvent se révéler être des instruments précieux.
Par exemple, nombreux sont les sites internet de la famille « actionnaires » qui revendiquent le statut de « conseiller en investissement financiers » (CIF). Ce statut leur permet en effet d’échapper au régime juridique applicable au placement d’instrument financiers et notamment à l’obligation d’être titulaire d’un agrément.
Ces précautions n’empêchent toutefois pas aux sites de Crowdfunding de connaître des difficultés, liées pour partie au caractère incertain de leur régime juridique (une plainte a notamment été déposée par un internaute contre le site MyMajorCompany il y a plusieurs semaines).
Aux États-Unis le JOBS Act américain (« Jumpstart Our Business Startups », 2 avril 2012) a mis en place un cadre juridique spécifique destiné aux plateformes de Crowdfunding. Les sites internet de Crowdfunding bénéficient ainsi de plusieurs exceptions à la règlementation applicable aux offres au public de titres financiers. Plusieurs avantages ont également été mis en place pour les internautes. Enfin, des obligations spécifiques ont été mises à la charge des plateformes de Crowdfunding (notamment une obligation de transparence et devoir de conseil).
En France, Fleur Pellerin, ministre déléguée aux PME, à l’innovation et au numérique, a récemment déclaré, lors des Assises de l’entrepreneuriat vouloir « faire sauter les verrous » du financement participatif.
Se dirige-t-on vers un « JOBS Act » à la française ?