La Loi du 1er mars 2012 sur l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXème siècle a fait couler beaucoup d’encre. Elle se heurte à une vive critique des auteurs et de leurs ayants droit qui y voient le risque d’une privation de leurs prérogatives patrimoniales et morales.
Pour résumer le mécanisme complexe de la Loi, l’on peut dire que tout livre paru au XXème siècle qui ne fait plus l’objet d’une exploitation commerciale, notamment en librairie, peut être inscrit dans une base de données numérique dénommée « Relire » ; à l’expiration d’un délai de 6 mois à compter de cette inscription, le droit d’autoriser son exploitation sous forme numérique est exercé par une société de gestion collective, la SOFIA, à moins que dans l’intervalle l’auteur ou ses ayants-droit se manifestent pour s’y opposer, auquel cas ils s’engagent à l’exploiter dans les deux ans.
À l’occasion d’un recours en annulation devant le Conseil d’Etat du Décret d’application de cette Loi instituant le fichier « Relire », une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) avait été posée, visant une atteinte injustifiée au droit de propriété des auteurs.
Dans sa Décision rendue aujourd’hui, 28 février 2014, le Conseil constitutionnel conclut à la conformité de la Loi à la constitution.
Il commence par rappeler que si le droit de propriété consacré par la Constitution aux articles 2 et 17 comprend désormais « le droit pour les titulaires de droit d’auteur et de droits voisins de jouir de leurs droits de propriété intellectuelle et de les protéger », l’article 2 prévoit que des atteintes à ce droit peuvent être prévues si elles sont justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi (considérants 12 et 13), conformément à sa jurisprudence constante.
Le Conseil relève d’abord que la Loi « livres indisponibles » est bien fondée sur un but d’intérêt général : rendre accessibles des œuvres qui ne le sont plus (considérant 14).
Il conclut ensuite à la proportionnalité des restrictions apportées au droit de propriété des auteurs.
Le Conseil considère d’abord qu’il n’y a pas d’atteinte au droit de divulgation, en se référant à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle ce droit s’épuise par le premier usage qu’on en fait (Considérant 15). Un arrêt du 11 décembre 2013 est cité au visa de la Décision du Conseil. Pourtant la question de savoir si le changement de destination de l’œuvre ne fait pas renaître le droit de divulgation est discutée en doctrine et en jurisprudence, qui ne se résume pas à cet arrêt. Précisément la question posée par la Loi en cause est qu’elle emporte exploitation sous forme numérique d’œuvres qui par hypothèse n’ont été exploitées qu’en format papier.
Pour les droits patrimoniaux, le Conseil relève d’abord à juste titre que la Loi n’emporte aucune privation du droit de propriété, puisque les ayants droit conservent la faculté de s’opposer à la gestion collective de leurs œuvres. Ensuite, de manière assez laconique, il est affirmé que les restrictions prévues par la Loi au droit de propriété des auteurs sont proportionnées au but poursuivi (Considérant 18). Ici, on aurait aimé en savoir plus sur les raisons qui ont conduit le Conseil à cette conclusion. Est-ce parce que les ayants-droit sont rémunérés au titre de cette exploitation via la SOFIA ? Parce que les autorisations conférées par celle-ci sont limitées dans le temps à des durées de 10 ans renouvelables ? La réponse n’est pas … disponible.