Le Conseil constitutionnel vient de rendre une décision par laquelle il confirme la conformité à la Constitution de l’article L.442-6, I, 2° du Code de commerce relatif au déséquilibre significatif1, et ceci malgré l’interprétation de cet article opérée par la Cour de cassation en 2017 dans son arrêt Le Galec2.
Depuis la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008, l’article L.442-6, I, 2° du Code de commerce prévoit qu’ :
« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou « personne immatriculée au répertoire des métiers » (…) « 2o De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
En octobre 2010, le Conseil constitutionnel a été saisi une première fois par la Cour de cassation3 d’une QPC relative à la conformité de ces dispositions au principe de légalité des délits et des peines.
Dans sa décision du 13 janvier 20114, le Conseil constitutionnel avait considéré que la notion de déséquilibre significatif était définie en des termes suffisamment clairs et précis pour permettre au juge de se prononcer sans que son interprétation puisse encourir la critique d’arbitraire et avait donc confirmé la conformité de ces dispositions à la Constitution.
Quelques années plus tard, en janvier 2017, la Cour de cassation a rendu une décision très attendue venant préciser son interprétation de la notion de déséquilibre significatif. En l’espèce, les contrats cadres de la société Le Galec intégraient des obligations mis à la charge des fournisseurs et prenant la forme de ristournes de fin d’année fondées sur le chiffre d’affaires de l’année en cours. Dans certains contrats, cette ristourne n’était subordonnée à aucune obligation à la charge du distributeur ou à une obligation ne faisant l’objet d’aucune précision quand dans d’autres, le montant du CA minimum justifiant le versement de cette RFA n’était pas précisé.
Dans cette affaire, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel5 qui avait condamné la société Le Galec, sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, à une amende de plus de 61 millions d’euros, considérant que :
Bien que cette disposition ait déjà été déclarée conforme à la Constitution, la Cour de cassation a accepté en septembre 2018, dans un litige opposant la société CARREFOUR et sa centrale d’achat INTERDIS au ministre de l’économie, de transmettre une nouvelle QPC relative à la conformité de l’article L. 442-6, I, 2° aux droits et libertés garantis par la Constitution, l’interprétation de cette disposition par son arrêt Le Galec constituant à ses yeux un « changement de circonstance en droit »6.
Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 30 novembre 2018.
Il reconnaît le changement de circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées, la Cour de cassation ayant jugé que le Code de commerce n’exclue pas que « le déséquilibre significatif puisse résulter d’une inadéquation du prix au bien vendu » et s’autorisant ainsi « un contrôle judiciaire du prix ».
Néanmoins, le Conseil constitutionnel rejette ensuite l’argumentation des saisissantes, considérant implicitement que l’interprétation effectuée par la Cour de cassation ne modifie pas la conformité de ces dispositions au principe de légalité des délits et des peines.
S’agissant de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle, le Conseil constitutionnel exerce un contrôle de disproportion manifeste entre les libertés et l’objectif d’intérêt public de rétablissement « d’un équilibre des rapports entre partenaires commerciaux » et confirme que « les dispositions contestées permettent au juge de se fonder sur le prix pour caractériser l’existence d’un déséquilibre significatif »
Selon le Conseil constitutionnel, cette possibilité offerte au juge est en quelque sorte inhérente à l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce et la Cour de cassation a donc opéré une interprétation de cette disposition conforme à la volonté du législateur.
La possibilité d’un contrôle judiciaire du prix au visa de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est donc confirmée tout comme l’exigence d’une contrepartie à toute obligation au bénéfice de l’un des cocontractants. Ces enseignements ne devront dès lors pas manquer d’être pris en compte par les opérateurs économiques lors des négociations commerciales en cours à et venir.
1 Décision n°2018-749 QPC du 30 novembre 2018
2 Cass, com. 25 janvier 2017, n°15-23547
3 Cass, com. arrêt n° 1137 du 15 octobre 2010
4 Décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011
5 CA PARIS, 1er juillet 2015, n°13-19251
6 Cass com. 27 septembre 2018 n°18-40028