Un brevet est considéré comme essentiel à une norme (BEN) lorsqu’il n’est pas possible, pour des raisons techniques, de fabriquer des produits conformes à une norme établie par un organisme de normalisation sans enfreindre ledit brevet (annexe 6 des règles de procédures de l’ETSI – European Telecommunication Standards Institute).
Pendant le processus d’élaboration d’une norme, chaque membre de l’ETSI doit révéler dans les meilleurs délais ses BEN et s’engager à accorder à tous tiers des licences à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, dites « FRAND » (« fair, reasonable, and non-discriminatory »).
Les BEN sont au cœur d’un litige entre la société Huawei Technologies, en situation de position dominante sur ce marché, et titulaire d’un BEN portant sur la norme « Long Term Evolution » (correspondant à la 4G) et la société ZTE qui commercialise des produits fonctionnant sur la base de cette norme comprenant plus de 4700 brevets essentiels.
Suite à l’échec des négociations relatives aux conditions d’octroi d’une licence à ZTE, Huawei Technologies a assigné ZTE en contrefaçon devant une juridiction allemande afin d’obtenir la cessation de la contrefaçon, la fourniture de données comptables, le rappel des produits et l’allocation de dommages et intérêts.
La Cour allemande a alors saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. La juridiction souhaitait obtenir un éclairage sur les conditions dans lesquelles le titulaire d’un BEN pourrait abuser de sa position dominante en introduisant une action en contrefaçon à l’encontre d’un tiers disposé à négocier une licence.
Dans son arrêt du 16 juillet 2015, la CJUE a distingué deux types d’action en contrefaçon.
Selon la Cour, le titulaire d’un BEN qui s’est engagé irrévocablement envers l’ETSI à octroyer aux tiers une licence à des conditions FRAND, n’abuse pas de sa position dominante en introduisant une telle action, dès lors que :
ET :
S’il n’a pas accepté l’offre du titulaire du BEN, le contrefacteur allégué doit lui soumettre, dans un bref délai et par écrit, une contre-offre correspondant aux conditions FRAND. A défaut, le contrefacteur perd la faculté d’invoquer le caractère abusif de l’action en contrefaçon du titulaire du BEN.
Si la contre-offre du contrefacteur allégué n’aboutit à aucun accord sur les détails des conditions FRAND, les parties peuvent alors demander que le montant de la redevance soit déterminé par un tiers indépendant statuant à bref délai.
Selon la Cour, la prohibition des abus de position dominante n’interdit pas à une entreprise détenant un BEN pour lequel elle a un souscrit un engagement de licence, d’introduire une action judiciaire contre le contrefacteur allégué en vue d’obtenir des données comptables relatives aux actes d’utilisation passés de ce brevet ou des dommages-intérêts au titre de ces actes.
En effet, une telle action « n’a pas de conséquence directe sur l’apparition ou le maintien sur le marché des produits conformes à la norme fabriqués par des concurrents » et ne peut donc pas constituer une pratique anticoncurrentielle.
Cet arrêt devrait rassurer les titulaires de BEN qui conservent, au même titre que les détenteurs de brevets classiques, la faculté essentielle de défendre leurs droits privatifs dans le cadre d’actions en contrefaçon, lesquelles ne seront susceptibles d’être condamnées sur le fondement du droit de la concurrence que dans des conditions restrictives.