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Actualité
20/3/14

Renforcement de la lutte contre la contrefaçon et les préjudices réparables. Encore un peu d’audace…

1. Retour sur la loi du 29 octobre 2007 et les préjudices de contrefaçon réparables

La loi du 29 octobre 2007 avait pour but de lutter contre l’évaluation approximative des dommages intérêts de contrefaçon par le juge (sur cette loi cf J.-M Bruguière, A. Buisson, F. Dumont, P. Deprez « La loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon » RLDI 2008/37 p. 58 et s).

Sans remettre en cause le principe de la réparation intégrale, ce texte adoptait en effet des critères précis pour guider les praticiens dans leurs demandes et les magistrats dans leurs décisions. Les titulaires de droits de propriété intellectuelle pouvaient ainsi demander, soit une rémunération proportionnelle au préjudice de contrefaçon, soit une rémunération forfaitaire. Plus précisément dans la loi du 29 octobre 2007 la rémunération proportionnelle recouvrait le préjudice patrimonial ou moral. Le préjudice patrimonial correspondait aux manques à gagner ou aux bénéfices du contrefacteur.

Le manque à gagner pouvait être caractérisé à partir du gain manqué (c’est-à-dire les bénéfices du titulaire si la contrefaçon n’avait pas eu lieu) calculé en multipliant la masse contrefaisante par la marge du contrefacteur.

Le manque à gagner pouvait également consister dans la perte subie. De fait, cette perte subie se révèle être un véritable fourre-tout juridique. Le juge a pu ainsi réparer sous ce chef de préjudice : l’atteinte au monopole, la dépréciation du titre, les frais de défense, la perte de chance de conclure des contrats….

La prise en compte des bénéfices du contrefacteur est une innovation de la loi du 29 octobre 2007. Cette innovation a créé un certain trouble car elle a pu être interprété pour certain comme la volonté de consacrer discrètement des dommages-intérêts punitifs. L’esprit de la loi n’était certainement pas celui-là et en pratique l’on observe que les parties se servent souvent de cet outil pour combler leur lacune dans la démonstration de la preuve du manque à gagner. Le préjudice moral correspond à une atteinte à la réputation découlant de la contrefaçon.

Son évaluation est souvent forfaitaire et confondue avec le préjudice patrimonial à tel point qu’un juge a pu déclarer un jour que ce préjudice était « pour le moins moral » (CA Paris 12 décembre 2012 RG 10/13867) ce qui est pour le moins … paradoxal. A titre d’alternative, la loi du 29 octobre 2007 prévoyait de solliciter une rémunération forfaitaire.

Les parties peuvent ne pas être en mesure de déterminer leur masse contrefaisante ou souhaitent ménager un contrefacteur qui peut se révéler être, dans un avenir proche, un bon partenaire commercial.

Le titre peut aussi tout simplement ne pas être encore exploité (nous songeons ici au brevet). Dans tous ces cas de figure, le titulaire des droits va solliciter une rémunération forfaitaire qui correspond plus ou moins au montant des redevances qu’il aurait touchées au cas où un contrat d’exploitation aurait été conclu.

2. Bilan de la loi du 29 octobre 2007 et affinement de la loi du 14 mars 2014

Cette loi a-t-elle été efficace ? D’après le rapport d’information rendu en février 2011 (Rapport L. Béteille et R. Young du 19 février 2011) certains titres de propriété intellectuelle (et notamment le brevet) sont mieux défendus. L’on peut penser également que cette rationalisation de l’évaluation des préjudices de contrefaçon a incité les titulaires de droits et les magistrats à plus de rigueur.

La proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon qui a été adoptée le 14 mars 2014 observait toutefois :

« Pour autant, la contrefaçon demeure encore aujourd’hui une faute lucrative. Autrement dit, lorsque les contrefacteurs ont, ce qui est pratiquement toujours le cas, une capacité de production supérieure au fabricant des produits authentiques, il est fréquent qu’en dépit de leur condamnation, ils retirent un avantage économique de la contrefaçon, avantage qui peut être très substantiel ».

Pour sanctionner cette faute lucrative, plusieurs possibilités étaient offertes : consacrer les dommages-intérêts punitifs, qui s’inscrivaient mal toutefois dans notre culture juridique, solliciter un mécanisme original comme celui proposé par Maître Véron consistant à inscrire le principe selon lequel :

« si les fruits de la contrefaçon dépassent les dommages-intérêts et si le contrefacteur est de mauvaise foi, la juridiction les restitue au titulaire du droit auquel il a été porté atteinte » (principe inspiré de l’article 555 du Code civil, sur cette proposition cf. Propriétés intellectuelles 2011 n°39 p. 196 obs. J.-M Bruguière).

Le législateur a préféré décliné un peu plus les chefs de préjudice pouvant être réparés en restant dans le modèle de la responsabilité civile. Plus précisément il est désormais prévu que :

« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement : « 1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ; « 2° Le préjudice moral causé à cette dernière ; « 3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits. « Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. ».

3. Loi du 14 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon. Quid novi ?

a) Qu’est-ce qui change par rapport à la loi du 29 octobre 2007 ?

Les parties et les juges sont invités, tout d’abord, à distinguer trois types d’indemnisation : conséquences économiques négatives, préjudice moral et bénéfices du contrefacteur. Dans la partie des bénéfices, ensuite, les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels font leur apparition. Enfin sur le forfait, la somme doit être supérieure au montant des redevances et elle n’est pas exclusive d’une indemnisation du préjudice moral.

b) Ces points sont-ils réellement nouveaux ?

Nous ne le pensons pas. Le juge et les parties suivent depuis longtemps ces nouveaux principes. Ainsi, bien que la loi du 29 octobre 2007 précisait à propos de la rémunération forfaitaire que celle-ci ne pouvait pas être inférieure au montant des redevances qui auraient dues dans le cadre d’un contrat d’exploitation, le juge accordait très souvent une pondération pour tenir compte de la négociation fictive des cessions et licences (car rien ne dit que l’on soit parvenu à un résultat moyen).

La précision selon laquelle la rémunération forfaitaire n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral semble en revanche utile car de nombreux juges estimaient jusqu’alors que cette somme avait vocation à réparer l’ensemble des préjudices (en sens contraire pourtant, TGI Paris 22 novembre 2011 RG n° 09/18883) ce qui n’était pas logique (la rémunération forfaitaire ne couvrant que le préjudice matériel).

Les choses iront-elles mieux en distinguant conséquences économiques négatives, préjudice moral et bénéfices du contrefacteur ? Nous ne le pensons pas là encore. Les catégories qu’envisage ici le législateur ne sont en rien étanches.

La perte subie qui est une partie des conséquences économiques négatives intègre souvent le préjudice moral (que l’on songe à la dévalorisation du produit). Les décisions qui réparent les préjudices, à la fois sur les conséquences économiques négatives, et les bénéfices du contrefacteur, sont rares (Pour un exemple toutefois cf. TGI Paris 24 janvier 2013 RG n°10/14541).

Le point s’explique assez facilement. Les magistrats prennent souvent en compte la marge du contrefacteur dans l’évaluation des dommages-intérêts sans que l’on sache si cela se rapporte aux gains manqués du titulaire ou aux bénéfices du contrefacteur. Quand à la considération de l’économie des investissements intellectuels, matériels ou promotionnels dans les bénéfices du contrefacteur, il y a, là aussi, rien de bien nouveau sous le soleil. En somme la loi du 11 mars 2014 fixe des solutions bien acquises. L’audace eut été de solliciter les dommages-intérêts punitifs (au prix il est vrai d’une petite révolution juridique) ou alors d’en revenir aux sources ce que faisait d’une certaine manière le projet sénatorial en un temps où il prévoyait de réparer « l’atteinte à la valeur économique du droit de propriété« .

Si la contrefaçon consiste à rendre à son titulaire son exclusivité, comme le disait Roubier, alors il faut aussi constater que le préjudice ne se réduit pas à ce qui a été perdu ou gagné mais réside intrinsèquement dans la simple présence du contrefacteur sur le marché. L’action en contrefaçon est avant tout une défense de la propriété. Encore un peu d’audace...

Jean-Michel BRUGUIERE
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