L’amendement adopté par l’Assemblée Nationale le 3 octobre, immédiatement désigné sous le nom de « Loi anti-Amazon » dans les médias, pose bien d’autres questions que celles de la survie des librairies et de la liberté du commerce et de l’industrie (déjà largement discutées) : la question de la clarté dans la formulation de la législation.
L’amendement est ainsi rédigé :
« Lorsque le livre est expédié à l’acheteur et n’est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, le prix de vente est celui fixé par l’éditeur ou l’importateur. Le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix sur le tarif du service de livraison qu’il établit ».
Exemple de formulation alambiquée, cet amendement appelle à une relecture nécessaire, aux vues des interprétations diverses et variées qui en ont été faites.
L’objectif de cette loi était de combler les lacunes de la réglementation mises en évidence par l’arrêt de la chambre commerciale de la cour de cassation du 6 mai 2008 qui avait jugé que le cumul de la livraison gratuite et de la décote de 5% sur le prix du livre ne constituait pas une prime prohibée par la Loi Lang et par le code de la consommation (Com. 6 mai 2008, n° 07-16.381, Bull. civ. IV, n° 97 ; D. 2008. 1474).
En substance, le texte pourrait prévoir la possibilité pour le vendeur, contraint de commercialiser le livre au prix fixé, de continuer à bénéficier du rabais de 5%, qui sera désormais soustrait du prix de livraison. En pratique, et comme les vendeurs sont libres de fixer le prix de la livraison comme bon leur semble, ceux-ci pratiqueront systématiquement une livraison d’un montant égal à 5% du prix du livre. Cela reviendra en réalité pour eux à pouvoir pratiquer des frais de livraison gratuits, alors même qu’ils devront vendre le livre à son prix d’origine.
Ainsi, si l’on considère un livre dont le prix fixé par l’éditeur s’élève à 20 Euros, son coût est :
Pourquoi une telle formulation, quand l’amendement d’origine, proposé par Christian Jacob et ses collègues, était d’une clarté lapidaire ?
« La prestation de livraison à domicile ne peut pas être incluse dans le prix ainsi fixé. »
Simplement car cette rédaction était bien trop facile à contourner. Les vendeurs fixant eux-mêmes leurs frais de livraison, ceux-ci auraient pu être ramenés à un montant très faible, de l’ordre de quelques centimes d’Euros, ne modifiant ainsi que de manière très anecdotique leur comportement.
Les observateurs, journalistes, et média en tout genre, ont ensuite rapporté le vote d’un amendement visant à interdire le cumul entre la livraison gratuite et la décote de 5% sur le prix du livre, avec quelques confusions liées au manque de clarté du texte.
« Dans le détail, le texte adopté ce jeudi prévoit ainsi que le vendeur en ligne ne pourra plus désormais déduire ce rabais de 5% du prix du livre que sur le tarif du service de livraison ».
20minutes.fr, 03/10/13 : sous-entendant donc que ces frais de livraisons doivent être au minimum égaux à 5% du prix du livre.
« Il y a aujourd’hui deux hypothèses : soit les opérateurs vont garder le rabais de 5% et supprimer les frais de port gratuits, soit ils conserveront la gratuité mais renonceront à appliquer le rabais de 5%. Dans les deux cas, cela va augmenter le coût pour le consommateur d’environ 5% et cela fera entrer plus d’argent dans les caisses des opérateurs et surtout celles d’Amazon ».
Analyse de Mathieu Perona, coauteur de "Le prix unique du livre à l’heure du numérique" (Éditions Rue d’Ulm, 2010)
« L’Assemblée nationale a voté cette semaine à l’unanimité une loi interdisant aux concurrents en ligne des libraires d’offrir les frais de livraison à leurs clients ».
Courrier International, 08/10/13
Il s’agit d’une lecture erronée du texte, répandue parmi les observateurs. Les vendeurs en ligne n’auront pas le choix d’exercer le rabais en supprimant les frais de port gratuits, car ce rabais ne s’appliquera désormais plus qu’à ces frais de ports. Le seul choix restant aux vendeurs sera d’appliquer ou non le rabais sur les frais de port, mais ils devront impérativement conserver le prix du livre intact. Ils pourront ainsi continuer à faire profiter aux acheteurs de la livraison gratuite, mais plus du rabais sur le prix du livre. Le livre ne coutera donc pas plus cher sur Amazon qu’en librairie, il coutera sensiblement le même prix.
Il convient également de préciser que le texte a été renvoyé à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. L’agenda des séances publiques du Sénat, disponible jusqu’au 7 novembre 2013, ne prévoit d’ailleurs pas pour l’heure l’étude de ce texte, ni le calendrier prévisionnel des travaux de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Espérons que le résultat de ces travaux apporte l’éclaircissement nécessaire à ce texte.
Car le législateur persistant à entretenir la confusion dans l’esprit des justiciables court le risque d’accoutumer ceux-ci à n’y rien comprendre, avec toutes les conséquences qui s’en suivent.