Non, ce n’est pas un sujet de dissertation, mais l’article 1er du projet de Loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » actuellement discuté devant l’Assemblée nationale. Cette disposition a, selon l’exposé des motifs, été introduite en réaction aux attentats de janvier 2015, et pour combler une lacune législative. En fait, la proclamation est aussi symbolique que dépourvue de contenu… surtout en tête d’une Loi qui met la puissance publique au centre de la culture et des arts.
Cela ne serait pas la première fois que le législateur proclame une liberté en tête d’une loi qui a pour objet de l’encadrer. L’article 1er de la fameuse loi de 1881 sur la presse affirme que « l’imprimerie et la librairie sont libres » avant que les dispositions suivantes énumèrent les restrictions à cette liberté ; de même « la communication par voie électronique est libre » selon l’article 1er d’une Loi sur l’audiovisuel qui se caractérise d’abord par une réglementation serrée du secteur, sous l’égide d’une autorité administrative de tutelle.
Mais ici la nouveauté est que le législateur proclame une liberté que nul ne conteste, en tout cas à la date de sa proclamation : en 1881 les publications pouvaient être soumises à autorisation préalable, ou censurées pour des motifs politiques ou religieux, de sorte que le principe affirmé par la Loi était créateur de droit ; de même, la période 80/86 a traduit une ouverture considérable du secteur audiovisuel, qui était auparavant un monopole d’Etat, d’où cette reconnaissance législative. Mais en 2015, en France, qui peut sérieusement prétendre que la création artistique serait entravée au point que sa libération mérite d’être affirmée par le législateur ? Les attentats de Charlie Hebdo, auxquels le législateur affirme ici vouloir apporter une réponse, montrent au contraire – en creux – l’effectivité de cette liberté, en fait et en droit.
En réalité, la création artistique n’est qu’une composante de la liberté de pensée et d’expression, laquelle est déjà très largement protégée par des engagements internationaux et des textes à valeur constitutionnelle. Le droit de la presse et plus généralement les restrictions légales à la liberté d’expression s’appliquent à la création artistique, comme en témoigne justement le procès des caricatures de Charlie Hebdo. Toute œuvre artistique est par définition le résultat d’une création libre, sans quoi, d’ailleurs, elle ne serait pas originale ni protégée par un droit d’auteur. Ensuite, le principe est que sa communication au public est libre, à moins qu’elle ne constitue un abus de la liberté d’expression sanctionné par la Loi, dans les termes des textes existants.
Pour un symbole politique, le législateur a pris le risque de se répéter, ou d’enfoncer une porte ouverte. Alors que l’enjeu est plutôt de permettre aux artistes et aux auteurs de se donner les moyens d’une liberté dont ils disposent déjà. Or, de ce point de vue, le projet de Loi est plutôt décevant, nous aurons l’occasion d’y revenir.