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Intelligence Artificielle : quels enjeux juridiques ?
Actualité
24/3/25

IA et copyright : quel avenir pour la consultation du gouvernement britannique ?

La consultation du gouvernement britannique lancée le 17 décembre 2024 et terminée le 25 février 2025 sur le copyright et l'intelligence artificielle (IA), propose un changement controversé de la loi sur le copyright. L’une des propositions principales est une exception au copyright pour l'exploration de textes et de données (TDM), permettant aux développeurs d'IA d'utiliser des œuvres protégées par le copyright pour former des modèles d'IA sans qu’il y ait besoin d’une licence d’utilisation, à moins que les titulaires de droits ne s'y opposent explicitement (opt-out).

Le droit britannique actuel n’est pas particulièrement favorable aux entrainements de l’IA 

Selon l'article 16 de la loi britannique sur le copyright de 1988 (Copyright, Designs and Patents Act, ou CDPA), les titulaires de droits d'auteur bénéficient au Royaume-Uni de droits exclusifs, notamment en matière de reproduction [art. 16(1)(a)], de représentation ou d’exposition publique [art. 16(1)(d)] et d'adaptation [art. 16(1)(e)]. Or, ces prérogatives exclusives se retrouvent aujourd’hui fragilisées par l’émergence d’œuvres générées par intelligence artificielle. En effet, l’IA, qui utilise comme données d’entraînement des éléments protégés par le copyright, entre en tension directe avec ce régime, car le CDPA ne prévoit aucune disposition spécifique applicable à cette technologie.

À ce jour, seules deux exceptions pouvaient être invoquées par les développeurs d'IA pour légitimer juridiquement leur pratique :

  • L'exception très restrictive prévue par l’article 29A de la CDPA, permettant le text and data mining (TDM) uniquement à des fins non commerciales et limitées à l'exploration de données.
  • L'exception dite du « Fair Dealing » prévue à l’article 30 (équivalent britannique du « fair use » américain), autorisant sous conditions strictes certaines utilisations limitées d'œuvres protégées sans violation du copyright, notamment à des fins de critique, revue, citation ou reportage d’actualité. Ainsi, dans le cadre spécifique de la critique ou de la revue (article 30(1)), l’usage doit être « équitable », viser une œuvre accessible au public, et être utilisé équitablement (fair dealing). C’est-à-dire que l’œuvre protégée par le copyright n’est :
    • pas utilisée plus que nécessaire pour la création de l’œuvre secondaire ; 
    • est susceptible d'être nettement inférieure à l'ensemble de l'œuvre ;
    • que la critique ou revue ne remplace pas l'œuvre originale protégée par le droit d'auteur ; 
    • et la critique ou revue n'interfère pas sur le marché de l'œuvre originale protégée par le droit d'auteur.

Il appartiendra dès lors aux tribunaux britanniques de déterminer si l'entraînement des systèmes d’intelligence artificielle peut effectivement bénéficier de cette exception du Fair Dealing prévue par l’article 30.

L’un des tout premiers litiges sur les données d’entrainement devant les juridictions britanniques dont la plainte avait été déposée dès 2023 Getty Images & Others v. Stability AI constitue un cas particulièrement révélateur de ces enjeux. Dans ce litige, Getty Images accuse Stability AI de violation du copyright, reprochant à cette dernière d’avoir entraîné son modèle d’intelligence artificielle, Stable Diffusion, en utilisant sans autorisation ni licence des millions d’images protégées par le droit d’auteur. Getty Images soutient notamment que ce procédé constitue une atteinte à son droit exclusif de reproduction prévu par le Copyright, Designs and Patents Act 1988 (CDPA), caractérisant ainsi une copie non autorisée.

En réponse, Stability AI conteste la compétence des tribunaux britanniques en affirmant que l’entraînement de son modèle a été réalisé hors du Royaume-Uni. Elle invoque également l’exception de fair dealing, arguant que l’utilisation litigieuse relève du « pastiche », constitue une forme de critique, et sert ainsi l'intérêt public, ce qui la placerait sous le champ d’application de l’article 30 de la CDPA.

La High Court, présidée par la juge Joanna Smith, a rejeté l’argument relatif à l’incompétence territoriale soulevé par Stability AI, soulignant que des actes tels que la diffusion du modèle d’IA sur des plateformes accessibles depuis le Royaume-Uni étaient suffisants pour établir la compétence des tribunaux britanniques. Le tribunal a également considéré comme plausibles les allégations des demandeurs selon lesquelles l’entraînement de l’IA impliquerait nécessairement une copie d'œuvres protégées. De plus, il a jugé que la défense invoquée par Stability AI sur la base du fair dealing n’était pas suffisamment solide à ce stade pour permettre un rejet anticipé de l’affaire.

La position du Royaume-Uni sur le régime applicable à l'entraînement d'intelligences artificielles utilisant des œuvres protégées par Copyright dépendra donc directement de l'issue de l'affaire Getty Images v. Stability AI en l’absence de changement législatif.

Certaines images générées par Stability AI gardaient le filtre Getty Images démontrant l’entrainement de données IA sur la base de données de Getty Image

Les 4 options évoquées par la proposition du gouvernement labour britannique

La consultation du gouvernement britannique sur le copyright et l'IA présente quatre options pour aborder l'utilisation de matériel protégé par le copyright dans la formation à l'IA, chacune équilibrant différemment les intérêts des détenteurs de droits et l'innovation en matière d'IA :

  • Option 0 : Ne rien faire - Cette option préserve le cadre juridique existant, qui exige des licences pour la formation à l'IA, à moins qu'une exception ne s'applique. Elle ne propose aucun nouveau mécanisme pour le contrôle des détenteurs de droits, l'accès aux entreprises d'IA ou la transparence, ce qui risque de prolonger l'incertitude juridique et les litiges.
  • Option 1 : Renforcer le copyright - Cette option impose des licences explicites pour la formation des modèles d'IA sur des œuvres protégées par le copyright au Royaume-Uni, et étend cette exigence aux entreprises offrant des services au Royaume-Uni, même si la formation a lieu à l'étranger. Tout en protégeant les détenteurs de droits, le gouvernement note que cette option pourrait nuire à la compétitivité mondiale du Royaume-Uni en matière d'IA en raison de l'augmentation des coûts et des obstacles juridiques, ce qui en fait un choix peu probable.
  • Option 2 : Diminuer le copyright et laisser librement les IA s’entrainer - soit une exception large pour l'exploration de données. Proposée précédemment en 2022, cette option autorise l'entraînement à l'IA sans restriction sur du matériel protégé par le copyright, sans que les détenteurs de droits ne puissent s'y soustraire. Face à la forte opposition des industries créatives, cette option a été mise de côté et semble ne pas bénéficier d'un soutien actuel.
  • Option 3 : L’approche de l’Union européenne : Soit la création d’une exception pour l'extraction de données avec réservation des droits et transparence. Cette option permet aux développeurs d'IA de s'entraîner sur des documents accessibles légalement, tels que des contenus en ligne, à moins que les détenteurs de droits ne réservent explicitement leurs droits au moyen d'outils lisibles par machine. Elle comprend des exigences de transparence, comme la divulgation des ensembles de données d'entraînement, et est considérée comme une approche équilibrée, faisant écho au modèle d'exclusion de l'UE en vertu de l'article 4 de la directive sur le marché unique numérique (DAMUN)1.

L'option 3 apparaît comme la voie privilégiée par le gouvernement travailliste, visant à favoriser la croissance de l'IA tout en fournissant aux titulaires de droits un moyen pratique de protéger leurs œuvres.  L'option 3 s'aligne sur le modèle de retrait de l'UE, conformément à la tendance du parti travailliste à renforcer la coopération avec l'UE sous sa direction.

Le monde de la musique britannique s’est fortement mobilisé contre cette proposition

Les industries créatives britanniques sont un moteur économique, contribuant à hauteur de plus de 126 milliards de livres sterling par an (DCMS, 2023) et employant 2,4 millions de personnes et s’est massivement mobilisé contre cette consultation. La communauté créative a mobilisé une forte opposition, avec des acteurs majeurs et des efforts populaires soulignant les enjeux :

  • Sony Music : Sony Music, l'un des principaux opposants aux propositions, a retiré de ses plateformes plus de 75 000 titres générés par l'IA en 2024, invoquant les menaces qui pèsent sur les moyens de subsistance des artistes et sur l'économie créative (7,6 milliards de livres sterling rien que pour la musique). L'entreprise a qualifié cette politique de "précipitée, déséquilibrée et irréversible", mettant en garde contre un déferlement de contenus IA de faible qualité qui pourrait noyer les œuvres authentiques.
  • Manifestation pour l'album silencieux : Plus de 1 000 musiciens, dont Kate Bush, Annie Lennox, Damon Albarn et Thom Yorke, ont publié Is This What We Want, un album silencieux d'enregistrements de studio vides, en décembre 2024. Cet acte symbolique, soutenu par le syndicat des musiciens, proteste contre la "réduction au silence" potentielle des voix des artistes, les recettes étant reversées à Help Musicians.
  • Musiciens, acteurs et personnalités britanniques célèbres : Une pétition signée par plus de 37 500 personnes, dont les acteurs Julianne Moore, Hugh Bonneville et Stephen Fry, ainsi que des personnalités comme le cinéaste Beeban Kidron et la romancière Kate Mosse, a condamné les propositions en les qualifiant de "menace majeure et injuste" pour les moyens de subsistance des créateurs. La Creative Rights in AI Coalition (Crac), qui regroupe la British Phonographic Industry, la Society of Authors et des médias comme le Guardian, a également rejeté l'exception relative au TDM et plaidé en faveur d'une application plus stricte des lois existantes.

Ces initiatives reflètent un front uni contre ce que beaucoup considèrent comme un risque existentiel pour le patrimoine culturel et la stabilité économique du Royaume-Uni.

Kate Bush, Imogen Heap, Damon Albarn

The silent album project

L’entrainement des systèmes d’IA et le copyright : un enjeu géopolitique majeur

La régulation internationale de l'intelligence artificielle (IA), notamment dans le cadre du droit d'auteur et du text and data mining (TDM), s'inscrit dans un contexte géopolitique où les États cherchent à attirer les entreprises innovantes tout en protégeant leurs industries créatives détentrices de copyrights. Aux États-Unis, l'administration Trump, à la demande notamment d’OpenAI, semble tentée d'assouplir les règles de protection du copyright afin de favoriser l’entraînement des IA, dans un souci de compétitivité face à la Chine, où les contraintes juridiques sur l’utilisation des données protégées sont bien plus faibles.

À l'échelle internationale, les approches réglementaires divergent considérablement, influençant directement l’innovation et les stratégies économiques nationales. D'un côté, certains États comme la Chine et le Royaume-Uni (dans son cadre légal actuel) imposent des régimes stricts, exigeant généralement des licences spécifiques pour les activités de TDM, protégeant ainsi fortement les titulaires de droits mais risquant de freiner l’innovation. À l'inverse, l’Union européenne cherche à établir un équilibre en autorisant le TDM, tout en permettant aux titulaires de droits d’exercer un contrôle via un mécanisme d'opt-out. Aux États-Unis, la flexibilité du régime de fair use facilite le TDM mais génère une insécurité juridique notable, illustrée par des litiges en cours tels que New York Times c. OpenAI et Cohere ou l’affaire résolue Thomson Reuters c. Ross Intelligence

Enfin, certains pays, notamment les Émirats arabes unis (EAU), Singapour et le Japon, adoptent une stratégie proactive en minimisant les contraintes réglementaires pour attirer les entreprises spécialisées en IA. Les Émirats arabes unis se démarquent particulièrement à travers l’« AI Strategy 2031 », un plan ambitieux d’investissements ciblés dans les infrastructures, l’éducation et l’innovation en matière d’intelligence artificielle. Ce dispositif est complété par des incitations fiscales attrayantes, notamment des exonérations et avantages spécifiques dans les zones franches, ainsi qu’un soutien marqué aux start-ups par l’intermédiaire d’incubateurs et d’accélérateurs, créant ainsi un environnement particulièrement favorable au développement rapide d’un écosystème entrepreneurial dédié à l’IA. Tandis qu’au Japon2 une exception large existe pour le TDM qui s’applique même si celui-ci est commercial. À Singapour le TDM est autorisé assez largement pour « l’analyse computationnelle »3. Ces pays pourraient donc attirer les prochains talents de l’IA au grand daim des pays ayant une régulation trop protectionniste sur le copyright. 

Le gouvernement britannique n’a pas encore annoncé la prochaine étape concernant cette consultation sur le Copyright Act et les industries créatives et de l’IA sont à l’affut de tout changement sur le sol d’outre-Manche. 

Cette proposition britannique confirme, si besoin était, que la prise en compte de la propriété intellectuelle dans l'entraînement des systèmes d’IA s'impose désormais comme un enjeu géopolitique majeur – une première dans l'histoire de la propriété intellectuelle.

Vincent FAUCHOUX / Benjamin KAHN
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