La consultation du gouvernement britannique lancée le 17 décembre 2024 et terminée le 25 février 2025 sur le copyright et l'intelligence artificielle (IA), propose un changement controversé de la loi sur le copyright. L’une des propositions principales est une exception au copyright pour l'exploration de textes et de données (TDM), permettant aux développeurs d'IA d'utiliser des œuvres protégées par le copyright pour former des modèles d'IA sans qu’il y ait besoin d’une licence d’utilisation, à moins que les titulaires de droits ne s'y opposent explicitement (opt-out).
Selon l'article 16 de la loi britannique sur le copyright de 1988 (Copyright, Designs and Patents Act, ou CDPA), les titulaires de droits d'auteur bénéficient au Royaume-Uni de droits exclusifs, notamment en matière de reproduction [art. 16(1)(a)], de représentation ou d’exposition publique [art. 16(1)(d)] et d'adaptation [art. 16(1)(e)]. Or, ces prérogatives exclusives se retrouvent aujourd’hui fragilisées par l’émergence d’œuvres générées par intelligence artificielle. En effet, l’IA, qui utilise comme données d’entraînement des éléments protégés par le copyright, entre en tension directe avec ce régime, car le CDPA ne prévoit aucune disposition spécifique applicable à cette technologie.
À ce jour, seules deux exceptions pouvaient être invoquées par les développeurs d'IA pour légitimer juridiquement leur pratique :
Il appartiendra dès lors aux tribunaux britanniques de déterminer si l'entraînement des systèmes d’intelligence artificielle peut effectivement bénéficier de cette exception du Fair Dealing prévue par l’article 30.
L’un des tout premiers litiges sur les données d’entrainement devant les juridictions britanniques dont la plainte avait été déposée dès 2023 Getty Images & Others v. Stability AI constitue un cas particulièrement révélateur de ces enjeux. Dans ce litige, Getty Images accuse Stability AI de violation du copyright, reprochant à cette dernière d’avoir entraîné son modèle d’intelligence artificielle, Stable Diffusion, en utilisant sans autorisation ni licence des millions d’images protégées par le droit d’auteur. Getty Images soutient notamment que ce procédé constitue une atteinte à son droit exclusif de reproduction prévu par le Copyright, Designs and Patents Act 1988 (CDPA), caractérisant ainsi une copie non autorisée.
En réponse, Stability AI conteste la compétence des tribunaux britanniques en affirmant que l’entraînement de son modèle a été réalisé hors du Royaume-Uni. Elle invoque également l’exception de fair dealing, arguant que l’utilisation litigieuse relève du « pastiche », constitue une forme de critique, et sert ainsi l'intérêt public, ce qui la placerait sous le champ d’application de l’article 30 de la CDPA.
La High Court, présidée par la juge Joanna Smith, a rejeté l’argument relatif à l’incompétence territoriale soulevé par Stability AI, soulignant que des actes tels que la diffusion du modèle d’IA sur des plateformes accessibles depuis le Royaume-Uni étaient suffisants pour établir la compétence des tribunaux britanniques. Le tribunal a également considéré comme plausibles les allégations des demandeurs selon lesquelles l’entraînement de l’IA impliquerait nécessairement une copie d'œuvres protégées. De plus, il a jugé que la défense invoquée par Stability AI sur la base du fair dealing n’était pas suffisamment solide à ce stade pour permettre un rejet anticipé de l’affaire.
La position du Royaume-Uni sur le régime applicable à l'entraînement d'intelligences artificielles utilisant des œuvres protégées par Copyright dépendra donc directement de l'issue de l'affaire Getty Images v. Stability AI en l’absence de changement législatif.
La consultation du gouvernement britannique sur le copyright et l'IA présente quatre options pour aborder l'utilisation de matériel protégé par le copyright dans la formation à l'IA, chacune équilibrant différemment les intérêts des détenteurs de droits et l'innovation en matière d'IA :
L'option 3 apparaît comme la voie privilégiée par le gouvernement travailliste, visant à favoriser la croissance de l'IA tout en fournissant aux titulaires de droits un moyen pratique de protéger leurs œuvres. L'option 3 s'aligne sur le modèle de retrait de l'UE, conformément à la tendance du parti travailliste à renforcer la coopération avec l'UE sous sa direction.
Les industries créatives britanniques sont un moteur économique, contribuant à hauteur de plus de 126 milliards de livres sterling par an (DCMS, 2023) et employant 2,4 millions de personnes et s’est massivement mobilisé contre cette consultation. La communauté créative a mobilisé une forte opposition, avec des acteurs majeurs et des efforts populaires soulignant les enjeux :
Ces initiatives reflètent un front uni contre ce que beaucoup considèrent comme un risque existentiel pour le patrimoine culturel et la stabilité économique du Royaume-Uni.
La régulation internationale de l'intelligence artificielle (IA), notamment dans le cadre du droit d'auteur et du text and data mining (TDM), s'inscrit dans un contexte géopolitique où les États cherchent à attirer les entreprises innovantes tout en protégeant leurs industries créatives détentrices de copyrights. Aux États-Unis, l'administration Trump, à la demande notamment d’OpenAI, semble tentée d'assouplir les règles de protection du copyright afin de favoriser l’entraînement des IA, dans un souci de compétitivité face à la Chine, où les contraintes juridiques sur l’utilisation des données protégées sont bien plus faibles.
À l'échelle internationale, les approches réglementaires divergent considérablement, influençant directement l’innovation et les stratégies économiques nationales. D'un côté, certains États comme la Chine et le Royaume-Uni (dans son cadre légal actuel) imposent des régimes stricts, exigeant généralement des licences spécifiques pour les activités de TDM, protégeant ainsi fortement les titulaires de droits mais risquant de freiner l’innovation. À l'inverse, l’Union européenne cherche à établir un équilibre en autorisant le TDM, tout en permettant aux titulaires de droits d’exercer un contrôle via un mécanisme d'opt-out. Aux États-Unis, la flexibilité du régime de fair use facilite le TDM mais génère une insécurité juridique notable, illustrée par des litiges en cours tels que New York Times c. OpenAI et Cohere ou l’affaire résolue Thomson Reuters c. Ross Intelligence.
Enfin, certains pays, notamment les Émirats arabes unis (EAU), Singapour et le Japon, adoptent une stratégie proactive en minimisant les contraintes réglementaires pour attirer les entreprises spécialisées en IA. Les Émirats arabes unis se démarquent particulièrement à travers l’« AI Strategy 2031 », un plan ambitieux d’investissements ciblés dans les infrastructures, l’éducation et l’innovation en matière d’intelligence artificielle. Ce dispositif est complété par des incitations fiscales attrayantes, notamment des exonérations et avantages spécifiques dans les zones franches, ainsi qu’un soutien marqué aux start-ups par l’intermédiaire d’incubateurs et d’accélérateurs, créant ainsi un environnement particulièrement favorable au développement rapide d’un écosystème entrepreneurial dédié à l’IA. Tandis qu’au Japon2 une exception large existe pour le TDM qui s’applique même si celui-ci est commercial. À Singapour le TDM est autorisé assez largement pour « l’analyse computationnelle »3. Ces pays pourraient donc attirer les prochains talents de l’IA au grand daim des pays ayant une régulation trop protectionniste sur le copyright.
Le gouvernement britannique n’a pas encore annoncé la prochaine étape concernant cette consultation sur le Copyright Act et les industries créatives et de l’IA sont à l’affut de tout changement sur le sol d’outre-Manche.
Cette proposition britannique confirme, si besoin était, que la prise en compte de la propriété intellectuelle dans l'entraînement des systèmes d’IA s'impose désormais comme un enjeu géopolitique majeur – une première dans l'histoire de la propriété intellectuelle.