Le rôle de l’avocat revêt particulièrement d’importance en matière de procédure et certains articles de loi sont là pour nous le rappeler.
Parmi eux l’article 53 de la Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 lequel impose le respect des exigences procédurales suivantes à peine de nullité de la poursuite : la précision et la qualification du fait incriminé ainsi que la mention du texte de loi applicable, l’élection du domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et enfin la notification de l’assignation au prévenu et au ministère public[1].
Les juridictions ont toujours interprété sévèrement cet article en rappelant l’autonomie et l’exclusivité de la loi de 1881.
C’est ce que n’a pas manqué de faire la 1e Chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt récent en rappelant que la double qualification de vie privée et de diffamation est interdite quand il s’agit de sanctionner une atteinte à la vie privée[2].
Les faits étaient les suivants : la Cour d’appel de Bordeaux a condamné un homme pour avoir ouvert un site au nom d’une autre personne – sans son consentement – et avoir diffusé sa photographie accompagnée de commentaires désobligeants portant atteinte à son honneur et à sa dignité[3]. L’auteur des faits s’est pourvu devant la Cour de cassation qui a cassé et annulé l’arrêt d’appel de Bordeaux aux termes d’un attendu limpide : « L’assignation doit à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable ; qu’est nulle une assignation qui retient pour les mêmes faits une double qualification fondée sur la loi du 29 juillet 1881 et sur l’article 9 du code civil « .
Les juridictions justifient cette interprétation stricte de l’article 53 par la nécessité que le prévenu/défendeur puisse connaître les faits dont il aura exclusivement à répondre. Il ne doit pas y avoir d’incertitude quant à l’objet de la poursuite et le prévenu/défendeur doit pouvoir être en mesure de choisir les moyens de sa défense lesquels différent entre une accusation de diffamation, d’injure, d’atteinte à la vie privée ou de droit à l’image.
Plusieurs arrêts rappellent ce principe d’interdiction de double qualification pour un même fait.
A titre d’exemple, la Cour de cassation a jugé nulle une assignation fondée sur la double qualification fondée d’injure et de diffamation[4]. La chambre criminelle a confirmé cette position pour une citation visant successivement la diffamation et les articles 31 et 32 de la loi de 1881[5].
Et plus récemment dans un second arrêt du 4 février 2015, la Haute Juridiction a jugé nulle une assignation qui retenait pour les mêmes faits une double qualification fondée sur la loi du 29 juillet 1881 et sur l’article 9-1 du Code civil sanctionnant l’atteinte à la vie privée[6].
La solution est donc constante : un même fait ne peut pas être poursuivi cumulativement ou alternativement sous la double qualification d’un délit de presse et d’un autre délit de presse ou de tout autre fait susceptible d’être qualifié d’atteinte à la vie privée, au droit à l’image ou à la présomption d’innocence[7].
La sanction de cette double qualification est sévère : l’annulation de l’assignation, et donc de l’acte originaire à la procédure, ce qui entraîne l’annulation de la procédure dans son ensemble. Cette sévérité s’explique par la prescription spéciale de trois mois établie par l’article 65 de la loi de 1881 ; pour échapper à la nullité des poursuites, l’avocat devra produire des éléments différents de ceux constituant l’infraction relative à la législation sur la presse.
En l’espèce, la Cour de cassation a annulé l’assignation mais n’a pas renvoyé l’affaire devant une nouvelle Cour d’appel, la cassation n’impliquant pas qu’il soit statué à nouveau sur le fond de l’affaire. La sanction est donc particulièrement grave puisque des faits, qui à première vue semblaient punissables, restent impunis pour un vice de procédure.
Il est donc essentiel de qualifier correctement les faits et de faire le bon choix quant au fondement de son action afin que le juge ne soit pas amené à requalifier les faits et à annuler en conséquence l’acte introductif d’instance.
A titre d’exemple, la Cour de cassation a jugé que l’action engagée en réparation du préjudice résultant de la diffusion de l’image d’une personne présentée comme alcoolique ne relève pas de la loi de 1881 mais de l’article 9 du Code civil[8]. Par ailleurs, elle a qualifié d’atteinte au droit à l’image, la publication d’un article relatant une agression, illustrée de la photographie d’une personne présentée comme un malfaiteur sans allégation ou imputation contraire à son honneur et sans que son nom soit mentionné[9].
A contrario, il a été jugé que le récit d’un vol de vêtements commis par une jeune chanteuse lorsqu’elle avait 14 ans, constituait une atteinte son honneur ou sa considération ; seules les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 trouvaient alors application en l’espèce[10]. De-même, l’article qui impute à une personne un comportement cupide ayant consisté à étaler au grand jour sa vie familiale pour intenter des procès dans un but purement lucratif et d’avoir ainsi « empoché des sommes confortables« , a été qualifié de diffamation et non d’atteinte à la vie privée[11].
Il existe des situations plus ambigües ; dans de telles hypothèses c’est la loi de 1881 qui primera.
Il est toutefois possible d’invoquer l’article 9 du Code civil et la loi de 1881 à condition de distinguer clairement les faits sur lesquels porte la demande[12].
Enfin, l’article 1382 du Code civil peut quant à lui être invoqué à titre subsidiaire si l’assignation est sans équivoque quant à l’objet du débat.[13]
La leçon à retenir, rappelée par la Cour de cassation dans son arrêt du 4 février dernier, est donc de mesurer ses demandes afin « de ne pas perdre ses moyens« .
[1] Article 53 de la loi du 29 Juillet 1881 : "La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite. Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu'au ministère public. Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite"
[2] Cour de cassation - 4 Février 2015
[3] Cour d’appel Bordeaux – 28 Janvier 2013 – n°11/6092
[4]Par exemple : Crim 16 janvier 1990, Cass AP 15.02.2013 n°11-14.637
[5]L’article 30 est relatif à la diffamation commise envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques. L’article 31 est relatif à la diffamation commise envers les membres du ministère, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l’autorité publique, un ministre de l’un des cultes salariés par l’Etat, un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin à raison de sa déposition.Voir arrêt de la chambre criminelle du 17 juin 2008
[6] Sur la présomption d’innocence :
[7] Cass. Crim. 30 mars 2005, n°04-84.976
[8] Civ 1e 21.02.2006
[9] Civ 2e 11.02.1999
[10] TGI Paris, 17e ch. civ., 8 févr. 2003
[11] Cass. 2e ch. civ., 18 mars 2004 : Légipresse 2004, n° 213, I, p. 97
[12] Crim 31.01.1995 : "Lorsque la poursuite concerne une pluralité de faits distincts susceptibles de qualifications différentes, et que la citation précise ces faits en les qualifiant séparément et en indiquant pour chacun d’eux le texte de loi applicable (…)".
[13] TGI Nanterre, 1re ch., sect. C, 24 avr. 2001 : Légipresse 2001, n° 184, I, p. 110 TGI Nanterre, 1re ch., sect. A, 12 déc. 2001 : Légipresse, 2002, n° 189, I, p. 30 - CA Paris 30 Janvier 1998