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Actualité
20/5/14

Dis moi ce que tu twittes, je te dirai ce que tu risques

Tweeter est au centre de l’actualité depuis quelques semaines, et encore récemment, après l’annonce ce week-end par Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste au Sénat, de son intention de déposer une proposition de loi visant à faciliter les procédures judiciaires, afin de lutter contre les injures et diffamations sur les réseaux sociaux et notamment sur Twitter.

Mais cette proposition est-elle bien utile ?

Internet n’est pas une zone de non droit comme se plait à le laisser penser Jean-Vincent Placé, où chacun serait libre de dire ce qui lui plait, et notamment d’injurier ou de diffamer. Comme l’illustrent plusieurs affaires rendues publiques au cours de ces dernières semaines voire de ces derniers mois, l’arsenal pour encadrer et réprimer les discours fautifs sur les réseaux sociaux, et plus particulièrement sur Twitter, est déjà bien étoffé.

Un tweet peut par exemple être appréhendé sur un terrain disciplinaire :

Deux magistrats, un avocat général et un assesseur, en ont récemment fait les frais.

Ils avaient échangé sur Twitter, lors d’un procès devant la Cour d’assises des Landes en ces termes :

« Question de jurisprudence: un assesseur exaspéré qui étrangle sa présidente, ça vaut combien ? » avait démarré l’assesseur.
« Je te renvoie l’ascenseur en cas de meurtre de la directrice du greffe », avait répondu, l’avocat général. Il avait poursuivi ainsi « On a le droit de gifler un témoin ? », puis « Bon, ça y est, j’ai fait pleurer le témoin… ».

Au total, une vingtaine de messages avaient été échangés entre eux, avant qu’un journaliste ne révèle leur identité.

Les membres de la formation disciplinaire du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) ont estimé que « L’usage des réseaux sociaux pendant ou à l’occasion d’une audience est à l’évidence incompatible avec les devoirs de l’état d’un magistrat » et que « L’invocation d’une pratique d’humour sur les réseaux sociaux pour justifier ces message est particulièrement inappropriée s’agissant d’une audience, en l’espèce de la cour d’assises ».

Le CSM a ajouté que « Le fait d’avoir, avant et pendant une audience d’assises, échangé des messages sur un réseau social caractérise un manquement aux devoirs de dignité, de discrétion, de réserve et de prudence », relevant que le contenu des messages est « outrageant » et que certains dénotent « un cynisme singulier particulièrement indigne d’un magistrat ». La représentante de la Chancellerie a demandé la mutation d’office au motif que « cette affaire a eu des conséquences désastreuses pour l’image de la justice ».

C’est le Ministre de la justice qui aura le dernier mot, car pour ce qui concerne la formation compétente à l’égard des magistrats du parquet, le CSM émet un simple avis, le pouvoir de prononcer la sanction n’appartenant qu’au garde des Sceaux, sa décision pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Un tweet peut également être appréhendé sur le terrain du droit social :

Insulter ses collègues ou son employeur ou encore nuire à l’image de l’entreprise en s’exprimant sur Twitter de façon démesurée peut être très risqué et conduire à un licenciement.

C’est ce qu’a pu constater récemment le directeur de la stratégie de Paypal. Embauché au mois de mars 2014, il a été licencié pour avoir injurié sur son compte Tweeter la vice-présidente du groupe en charge de la communication.

D’autres salariés, des journalistes notamment, avant lui, ont été licenciés pour avoir dénigré leurs employeurs sur Twitter : Julien Courbet, licencié de France 2, après avoir critiqué sa direction suite à l’arrêt d’une de ses émissions, par exemple. Mais il ne suffit pas de critiquer sa direction : un tweet jugé déplacé peut fonder une décision de licenciement. Le journaliste Pierre SALVIAS avait été remercié par RTL en 2012 après avoir rédigé un tweet jugé douteux à propos de Valérie Trierweiler. Motif invoqué : la mise à mal de l’image de l’employeur.

S’il existe peu de jurisprudence à propos de Twitter, contrairement à Facebook, un tweet peut être valablement invoqué à l’appui d’un licenciement.

À la différence des messages postés sur Facebook, qui ont fait l’objet d’une jurisprudence en droit social qui distingue suivant que le message posté sur Facebook l’est sur un compte fermé ou ouvert, pour déterminer si ce message peut être invoqué à l’appui d’un licenciement et ne relève pas du secret des correspondances, Twitter est un réseau social ouvert et public : un message posté sur Twitter est potentiellement visible par n’importe quel internaute.

Même si un utilisateur a la possibilité de bannir certains membres avec lesquels il ne souhaite pas être en contact, l’espace qu’il occupe et les informations qu’il diffuse sur Twitter ne relèvent pas d’un cercle privé. Un message posté sur Twitter peut donc valablement être invoqué à l’appui d’un licenciement. Afin de se prémunir contre les abus éventuels de leurs salariés, de plus en plus d’entreprises mettent d’ailleurs en place une charte de bonne conduite sur les réseaux sociaux.

Un tweet peut également être appréhendé sur le terrain de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, même si là encore il y a pour l’instant peu de jurisprudence en la matière.

  • Un Internaute a été condamné en 2013 par le Tribunal correctionnel de Paris à 150 euros d’amende avec sursis et 1 euro de dommages et intérêts pour injure publique, à l’encontre de Jean-François Copé, à raison d’un tweet injurieux. Le tweet en cause contenait un montage photo avec une légende insultante et avait été publié le soir du premier tour de l’élection présidentielle de 2012. L’internaute a également dû en exécution de la décision publier sa condamnation sur son compte tweeter.
  • L’appel au viol de la militante féministe et antiraciste Rokjaya Diallo dans un tweet a quant à lui donné lieu à la condamnation de l’auteur de ce tweet au début de cette année à une amende de 3.000 euros dont 1.400 euros avec sursis, pour injure et provocation à commettre un crime non suivie d’effet.
  • Récemment encore, Arnaud Dassier, soutien de François Bayrou et entrepreneur sur Internet, a été mis en examen pour diffamation publique puis renvoyé devant le Tribunal correctionnel pour avoir exprimé le 14 mai 2011 son étonnement sur son compte Twitter quant au cumul de fonctions de Ramzi Khiroun au sein du groupe Lagardère, de l’agence EuroRSCG et de conseiller en communication auprès de Dominique Strauss-Kahn en ces termes : « Ramzi Khiroun est à la limite de l’abus de bien social avec ses jobs Lagardère ou EuroRSCG (on ne sait plus trop) tout en bossant pour #DSK ». Même si finalement le Tribunal a considéré que ce tweet n’était pas diffamatoire, au motif que du fait de l’expression « à la limite de » le message litigieux n’est que l’expression d’une opinion subjective qui peut être librement discutée, dans bien des cas, le caractère diffamatoire d’un tweet pourra être retenu car par essence, en raison de ses paramètres techniques (140 signes maximums), un tweet exclut la nuance.

Toutefois, le développement des tweets, qui sont basés sur l’instantanéité, la spontanéité et la concision, devrait conduire les juges en cas de judiciarisation excessive à s’interroger sur l’opportunité d’abaisser les exigences relatives à la bonne foi, qui est un fait justificatif de la diffamation, pour ce mode d’expression, comme ils l’ont fait déjà fait en matière de blog, sans pour autant que ne soit écartée l’exigence d’une base factuelle minimum.

Les 4,5 millions d’utilisateurs de Twitter en France doivent donc faire preuve de prudence.

Même lorsqu’il s’agit de retweeter un tweet : retweeter, c’est se rendre coupable d’une nouvelle diffusion de propos diffamatoires ou injurieux par exemple. La seule reproduction de propos diffamatoire ou injurieux peut constituer une diffamation ou une injure.

Quant à l’anonymat de certains Internautes, il n’est plus véritablement un problème puisque grâce à l’adresse IP, on peut retrouver leur identité. En application de la loi du 21 juin 2004 dit loi pour la confiance dans l’économie numérique, les données d’identification des internautes sont conservées et les juges n’hésitent pas à ordonner leur communication par les fournisseurs d’accès ou les hébergeurs quand l’infraction est caractérisée. Suite à plusieurs plaintes, la justice avait d’ailleurs ordonné à Twitter de fournir les coordonnées d’auteurs de tweets antisémites. Depuis, Twitter s’est doté d’un système de signalement qui permet de lui notifier des messages violents, dangereux ou choquants.

À vos tweets et périls…

Pierre DEPREZ / Aurélie BREGOU
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