Le 10 mai 2016 le Conseil constitutionnel a rendu une décision relative aux servitudes administratives grevant l’usage des chalets d’alpage qui fera date1 ! Non pas pour avoir décidé que « l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme dans sa rédaction résultant de la loi n°2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat est conforme à la Constitution », mais pour avoir motivé cette solution sans « considérant », ni « susvisé », ni (ô sacrilège) point-virgule2 !
Ce véritable big-bang juridique (il n’y pas d’autres termes) trouve sa source dans le rapport du conseiller d’Etat, Philippe Martin, sur la rédaction des décisions administratives3. Selon ce dernier, la « phrase unique », entrecoupée de nombreux « considérant » engendre des phrases interminables parsemées de « points-virgules » qui « font obstacle à la compréhension ». Ce conseiller suggérait donc « des phrases courtes, ponctuées de points ». Le Conseil d’Etat a lui-même rendu (quelle audace !) des arrêts sans « considérants » à tel point que le Président d’une chambre à la cour administrative d’appel de Marseille, lors d’une audience solennelle, a rendu un vibrant hommage à « Monsieur Considérant (…) un compagnon de route, un vieux confrère… »4.
Le « vieux confrère » a donc disparu des décisions du Conseil constitutionnel, tout comme « le bon père de famille », certainement trop misogyne, du Code civil. Le point-virgule défini comme : « un signe de ponctuation représenté par une virgule surmontée d’un point, principalement utilisé pour séparer des propositions indépendantes dans une phrase »5 passe lui aussi à la trappe. Il rejoint ainsi le sort du point-virgule sur dernières versions des claviers d’Apple6… Inutile.
L’on peut se réjouir de cette évolution.
L’accessibilité et de l’intelligibilité, que le Conseil constitutionnel prône depuis la décision du 16 décembre 19997, s’appliquent également à sa propre jurisprudence.
L’on peut aussi regretter l’abandon de ce point-virgule.
Toute langue est accompagnée d’une ponctuation, de telle sorte que Cyrano de Bergerac (à qui l’on suggérait de faire corriger certains ses vers) s’exclamait : « Impossible Monsieur, Mon sang se coagule/en pensant qu’on y peut changer une virgule ». Et le droit, comme tout langage8, a besoin de ponctuation.
L’on peut espérer surtout (car le Conseil n’est pas Proust), que le nouveau Président du Conseil constitutionnel fasse adopter des réformes plus ambitieuses à cette Haute juridiction en renforçant, par exemple, le caractère contradictoire des audiences de QPC.
1 L’on peut lire sur le site du Conseil constitutionnel le communiqué du Président suivant : "À l'occasion des deux décisions QPC rendues publiques le 10 mai 2016 (décisions nos 2016-539 QPC et 2016-540 QPC), le Conseil constitutionnel a décidé de moderniser le mode de rédaction de ses décisions. Ce nouveau mode de rédaction a pour objectifs de simplifier la lecture des décisions du Conseil constitutionnel et d'en approfondir la motivation. Ce mode de rédaction s'appliquera désormais à l'ensemble des décisions rendues par le Conseil constitutionnel"
2 Voir P. Gonzalès Le Figaro 11 mai 2016
3 P. Martin "Groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative", avril 2012
4 B. Bissuel "Le Conseil d’Etat pourrait abandonner ses considérant", Le Monde 5 août 2013
5 Définition Wikipédia
6 G. Poncet, "Apple supprime le point-virgule de ses claviers", Le Point, 1 er avril 2015
7 Décision n°99-421 DC du 16 décembre 1999
8 G. Cornu "Linguistique juridique", Montchrestien 2 éd. 2000