Téléchargez gratuitement notre eBook "Pour une stratégie d'entreprise éco-responsable"
télécharger
French
French
Actualité
13/3/17

Créations de salariés : une casuistique fine entre droit d'auteur et droit du travail

La question de la création salariée dans le droit d’auteur continental est au centre de nombreuses contradictions qu’il n’est pas facile de régler. Dans la logique du système mis en place, en France, en 1957, le droit naît certainement sur la tête de l’auteur salarié. Or, aujourd’hui, on sait que le droit d’auteur n’a cessé d’étendre son champ d’application à des domaines (publicité, arts appliqués, informatique…) où les personnes qui investissent supportent mal d’être exposées à tout propos à la menace de l’exercice des droits par le salarié. Le système des works made for hire est alors regardé par certains avec envie. Il est certainement plus sécurisant pour les entreprises mais encore faut-il en connaître les subtilités. Voici donc, dans cette nouvelle brève, quelques règles essentielles.

L’article 101 du Copyright Act distingue clairement, parmi les works made for hire, c’est-à-dire les œuvres réalisées dans le cadre des contrats de louage de service  et d’entreprise, les œuvres créées dans le cadre du contrat de travail et les œuvres créées dans le cadre du contrat de commande. Du côté du Royaume-Uni, qui ignore cette notion de works made for hire (voir la section 11 (2) de la loi de 1988) le droit réserve bien aussi un sort particulier aux créations de salariés et aux créations de commande.  Seules les créations de salariés seront ici présentées.

L’attribution du copyright aux employeurs suppose la réunion de trois conditions essentielles : être en présence d’un employé, avoir agi dans le cadre des fonctions de l’entreprise, ne pas avoir envisagé de stipulation contraire.

Dans le droit du copyright du Royaume-Uni, comme dans le droit du copyright des Etats-Unis, la première difficulté est de définir l’employé. A l’article 178 du CDPA, la loi de 1988 souligne que « employer, and employment refer to employment under a contract of service or of apprenticeship ». Le contract of service (ou contrat de travail) est ainsi distingué du contract for service (ou contrat d’entreprise). Contrairement à la France, le droit britannique englobe le contrat d’apprentissage dans sa définition.

Mais comment définir le contrat de travail ? La doctrine a ici mis en valeur plusieurs critères : le degré de contrôle exercé par l’employeur, le fait que le salarié fasse partie de l’organisation de travail de l’entreprise employeur, la mise à disposition d’outils de travail…

La position des Etats-Unis sur cette question est encore plus riche. Prenant acte des confusions faites sous l’empire de la loi de 1976, entre les œuvres créées dans le cadre du contrat de travail, et les œuvres réalisées dans le cadre du contrat de commande, où la personne qui commande surveille étroitement l’exécution de la création, le juge, dans l’arrêt Community for creative non violence v. Reid, (490 109 s. Ct. 2166, 2179 (1989) soulignera très clairement que le salarié doit être entendu au sens des règles des contrats de mandat et de commission (ce que l’on nomme the rules of agency).

Plus précisément encore, cette importance décision distingue deux catégories de créateurs : ceux qui sont envisagés comme des salariés, au sens du droit du travail américain, et les créateurs indépendants, à qui l’on fait appel dans le cadre des contrats de commande, dont nous présenterons le régime dans la brève suivante. Les juges, dans cet arrêt Reid sont allés plus loin pour déterminer le salarié en mettant en avant plusieurs critères utilisés dans le Restatement of Agency § 220 (2) (document publié par la American Law Institute, institution regroupant professionnels du droit et académiques). Le salarié au sens du work made for hire sera présent lorsque l’employeur a le droit de contrôler la manière par laquelle l’œuvre est réalisée ou bien mettra à disposition des outils qui serviront à la création. Les méthodes de paiement, la durée des relations entre les parties, sont encore des indices d’une relation salariée. Dans des décisions postérieures, les magistrats ont eu l’occasion de préciser que certains facteurs pouvaient apparaître comme plus importants que d’autres. Il en est ainsi, par exemple, du paiement des charges sociales.

L’œuvre salariée appartiendra à l’employeur à condition d’avoir été réalisée dans le cadre des fonctions de l’employeur. Nous pouvons ici nous appuyer sur la jurisprudence britannique pour illustrer ce point. Le problème a été posé très clairement dans un arrêt Stevenson Jordan v. MacDonald & Evans rendu en 1952 (69 RPC 10, 10 TLR 101 (1952).

Dans cette affaire se posait la question de savoir à qui devait revenir le copyright sur des conférences délivrées par un comptable. Bien que l’entreprise employeur ait financé les conférences du comptable, ait demandé à une secrétaire de taper les textes de celles-ci ; bien que le comptable ait pu réaliser ces séminaires sur son temps de travail, le juge a considéré que le copyright lui revenait dans la mesure où l’employeur n’avait pas été en mesure de démontrer qu’il avait bien demandé au comptable d’effectuer ces interventions. Pour dire les choses plus simplement, le juge a considéré qu’un comptable est avant tout engagé pour conseiller sa clientèle et non pas pour délivrer des conférences. Cette interprétation restrictive sera reprise dans la décision Noah v. Shuba rendue en 1991 (FSR 14 1991).

Le docteur Noah, qui était un salarié d’un hôpital, avait écrit un ouvrage de médecine en utilisant les moyens de cette entité : l’ouvrage avait été tapé par la secrétaire de l’hôpital, celui-ci avait été à l’origine de l’édition… Le facteur déterminant relevé par le juge reposera sur le fait que le livre avait été réalisé chez lui au cours de ses soirées et week-end. Cela ne signifie pas pour autant que toute production réalisée dans le cadre privé ou sur ses propres moyens écarte ce second critère. Le contraire a même été jugé très clairement dans une décision Missing Link Software v. Magee FSR 361 (1989) à propos de la création d’un logiciel.  L’interprète est donc tenu à se livrer à une casuistique assez fine pour déterminer le contenu de ce second critère.

Dans les deux systèmes, la stipulation contraire est parfaitement possible. Ceci est dit clairement à l’article 201 b) du Copyright Act (« unless the parties have expressly agreed otherwise in a written instrument signed by them, owns all of the rights comprised in the copyright »).

Un écrit est ici clairement requis. La discussion relative aux stipulations se développe aux Etats-Unis surtout à propos du second ensemble d’œuvres du « work made for hire » : les œuvres de commande.

En droit britannique, il est admis que cette stipulation contraire, qui est généralement écrite, peut parfois résulter implicitement des usages. Dans l’affaire Noah précitée notamment les juges ont considéré que l’absence de cession à l’employé, ayant pourtant mobilisé fortement les ressources de son employeur, résultait de la pratique de la maison d’édition de l’hôpital de laisser les auteurs faire valoir leur copyright auprès du public.

Jean-Michel BRUGUIERE
Découvrez le Livre Blanc : "Intelligence artificielle : quels enjeux juridiques"
Télécharger
Intelligence Artificielle : quels enjeux juridiques ?

Abonnez vous à notre Newsletter

Recevez chaque mois la lettre du DDG Lab sur l’actualité juridique du moment : retrouvez nos dernières brèves, vidéos, webinars et dossiers spéciaux.
je m'abonne
DDG utilise des cookies dans le but de vous proposer des services fonctionnels, dans le respect de notre politique de confidentialité et notre gestion des cookies (en savoir plus). Si vous acceptez les cookies, cliquer ici.