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Actualité
9/10/23

Avis critiques publiés par les Internautes sur le Web : quelle est la frontière entre dénigrement fautif et droit à la liberté d’expression ?

Aux termes d’un arrêt du 7 septembre 20231, la Cour d’appel de Paris a de nouveau eu à se prononcer sur la frontière entre dénigrement fautif et droit à la liberté d’expression dans une affaire dans laquelle une société se plaignait d’avis publiés sur une plateforme communautaire en ligne permettant aux internautes de signaler les arnaques qu’ils rencontrent sur Internet.

Une société X. démarchait des entrepreneurs, pour proposer ses services en matière d’affichage obligatoire, par l’envoi d’une lettre comportant la mention « Affichage obligatoire » et évoquant des « sanctions pénales », avec indication d’un prix et de modalités de paiement. Dans ce document, une mention en petit format précisait qu’il s’agissait d’une offre facultative commercialisée par une société de droit privé.

Si le caractère légal du démarche effectué par la société X. n’était pas en cause, ces pratiques avaient fait l’objet d’avis d’Internautes publiés sur la plateforme signal-anarques.com dénonçant le fait que cette société X. proposait aux entrepreneurs de procéder à des formalités d’affichage, en opérant une confusion avec un organisme officiel qui, lui, sollicite les sociétés pour une démarche légale.

Les avis des internautes comportaient des termes ou expressions assez virulents, tels que « arnaque », « gangsters », « tout est bon pour soutirer du pognon », « pratique frauduleuse », le fait de « profiter des gens en leur faisant peur », une « méthode déloyale », des « arnaqueurs », des « imposteurs » et incitaient à signaler cette « arnaque » à la DGCCRF pour éviter que « quelqu’un se fasse avoir ».

Estimant que la plateforme signal-anarques.com hébergeait des commentaires dénigrants à son encontre, la société X. a assigné la société éditrice dudit site, devant le Tribunal Judiciaire de Paris selon la procédure accélérée au fond, sur le fondement des articles 1240 du Code civil et 6 1-2 et 8 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économique numérique (« LCEN »), aux fins d’obtenir le retrait immédiat des avis en cause, des dommages et intérêts au titre du préjudice subi et une mesure de publication sur la page d’accueil de signal.anarques.com.

La Cour d’appel de Paris a confirmé la décision rendue par le premier juge qui avait rejeté les demandes de la société X. jugeant que le dénigrement allégué ne dépassait pas « la libre critique et les limites admissibles de la liberté d’expression ».

1. Rappel de la jurisprudence cadre de la Cour de cassation dans l’appréciation du caractère fautif ou non du dénigrement.

La Cour de Cassation2 a établi un cadre précis permettant de déterminer si des propos jetant le discrédit sur un produit ou un service constituent un acte fautif de dénigrement ou relèvent au contraire du droit à la liberté d’expression  :

« même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées3, la divulgation, par l’une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure »4.

Autrement dit, le droit à la liberté d’expression prime lorsque trois conditions cumulatives sont remplies : l’information communiquée concerne un sujet d’intérêt général ; elle est fondée sur une base factuelle suffisante ; et exprimée avec une certaine mesure. Ainsi, « tout est une question de juste équilibre et de balance des intérêts dont le curseur oscille entre la responsabilité civile et la liberté d’expression »5.

 

2. Dans la balance des intérêts en présence, la Cour d’appel de Paris a fait prévaloir au cas d’espèce la liberté d’expression.

Faisant application de cette grille d’analyse, la Cour d’appel de Paris a confirmé la décision du premier Juge qui avait rejeté les demandes de la société X. :

a) D’abord, la Cour a jugé que le sujet est sans difficulté un sujet d’intérêt général, s’agissant de l’information des entreprises quant à l’action d’une société X. venant les démarcher ;

b) Ensuite, la Cour a estimé que :

« la base factuelle des propos apparaît sérieuse, une confusion pouvant naître dans l’esprit d’entrepreneurs peu informés , ce d’autant que [la société X.] rappelle que les formalités d’affichage ne sont pas nécessairement obligatoires pour les autoentrepreneurs et les indépendants sans salariés » ;

c) Enfin, la Cour a considéré que :

« si les propos visés sont empreints d’une certaine virulence, ils n’apparaissent pas dépasser la libre critique et les limites admissibles de la liberté d’expression », étant observé que « l’emploi du terme « arnaque » ne renvoie pas à une infraction pénale d’escroquerie, mais plus à l’acception la plus large du terme à savoir un engagement n’apportant pas le gain attendu et faisant naître une déception chez l’utilisateur du service ». Elle ajoute qu’ « il en va de même des mentions relatives aux pratiques frauduleuses, ou déloyales, à des faux, à des gangsters (…) tous ces termes employés par des personnes s’estimant avoir été victimes d’agissements douteux, étant à replacer dans la libre critique d’internautes, déçus par le services, évoquant leurs expériences personnelles et cherchant à aviser les autres personnes pouvant être contactées par [la société X.] ».

 

Autrement dit, selon la Cour d’appel, la troisième condition tenant à ce que les propos soient exprimés avec une certaine mesure est elle aussi remplie, bien que lesdits propos étaient « emprunts d’une certaine virulence ».

Ainsi des critiques d’Internautes de nature à nuire à un opérateur économique, même si elles sont exprimées en des termes virulents, peuvent être librement publiées, dès lors qu’elles se rapportent à un sujet d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante.

Comme pour l’appréciation des critères de la bonne foi en matière de diffamation, pour la jurisprudence, en matière de dénigrement, l’existence d’un sujet d’intérêt et d’une base factuelle suffisante sont les variables d’ajustement du curseur de l’exigence de mesure dans l’expression.

Aurélie BRÉGOU / Pauline FOURNIÉ

1 Cour d’appel de Paris, pôle 1 – ch. 2, arrêt du 7 septembre 2023 : Legalis | L’actualité du droit des nouvelles technologies | Cour d’appel de Paris, pôle 1 – ch. 2, arrêt du 7 septembre 2023

2 Cass. com., 9 janv. 2019, n° 17-18.350.

3 Bien que le dénigrement soit l’une des formes par lesquelles la concurrence déloyale se manifeste, la Cour de cassation avait déjà explicité que le dénigrement peut exister également entre non concurrents (Cass. com., 12 févr. 2008, n° 06-17.501, citée par Ch. CARON, Concurrence – La Bonne et la mauvaise communication sur une assignation en contrefaçon, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 16, 18 avril 2019, 1194).

4 La chambre civile de la Cour de cassation s’était déjà prononcée dans ce même aux termes de deux décisions rendues le 11 juillet 2018 et le 12 décembre 2018 (Cass. 1re Civ., 11 juillet 2018, nº 17-21.457 et Cass. 1re Civ., 12 déc 2018, nº 17-31.758). La décision de la chambre commerciale du 9 janvier 2019 s’inscrit dans cette même logique (BRUGUIÈRE (J.-M.) et BRÉGOU (A.), Dénigrement, diffamation : la convergence des moyens de défense, D. 2019. 872).

5 Ch. CARON, loc. sit. nº 4. 

Image par Canva
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