Par une Ordonnance du 27 juillet 2022, le Conseil d’État a suspendu l’exécution du Décret n° 2022-947 relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales en tant qu’il s’applique à l’utilisation d’une part, de dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie et, d’autre part, de dénomination d’une denrée alimentaire d’origine animale représentative des usages commerciaux visées respectivement aux 3° et 4° de son article 2.
Pour mémoire, ce Décret précise les modalités d’application du nouvel article L.412-10 du Code de la consommation en vertu duquel les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d'origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales.
L’association Protéines France représente les acteurs du secteur des protéines végétales. Elle a déposé une requête en référé le 18 juillet 2022 pour obtenir la suspension de l'exécution du Décret en soutenant notamment que son entrée en vigueur au 1er octobre 2022 ne laisserait pas suffisamment de temps aux acteurs de la filière pour réorganiser leur activité.
En outre, elle estimait que le Décret en ne précisant pas les termes visés par l’interdiction d’utilisation de certaines dénominations aux termes des 3° et 4° de son article 2, portait atteinte à la sécurité juridique, à l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité, de clarté et d’accessibilité de la norme et au principe de légalité des délits.
Pour que le Conseil d’État statue favorablement à une demande en référé, il faut démontrer que la situation présente une urgence caractérisée ainsi qu’un doute sérieux quant à la légalité de l’acte objet de la demande.
Dans son Ordonnance, le juge des référés du Conseil d’État a reconnu que l’impossibilité pour les opérateurs de se conformer au Décret à la date d’entrée en vigueur du texte constituait une atteinte suffisamment grave et immédiate pour justifier l’urgence de la demande.
Á cet égard, il a été jugé que renoncer à des appellations parfois utilisées de longue date ou installées dans l’esprit des consommateurs, impliquerait tant des délais matériels incompressibles concernant la modification des emballages, des supports de ventes, que des démarches commerciales importantes à l’intention des clients pour assurer la pérennité des activités.
En outre, le Conseil d’État a émis des doutes sérieux quant à la légalité du Décret notamment en raison de son imprécision (3° et 4° de son article 2) mais également au regard du Règlement n°1169/2021 dit « INCO » relatif à l’étiquetage des denrées alimentaires.
Le juge des référés considère que du fait de l’imprécision dans la caractérisation des termes dont l’usage est prohibé, mais également en l’absence de liste exhaustive de dénominations, et d’accès gratuit aux Codes des usages cités par l’Administration, le Décret contesté va effectivement à l’encontre de l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité, de clarté et d’accessibilité de la norme et également du principe de légalité des délits.
L’article 17 du Règlement prévoit que la dénomination d’une denrée alimentaire, est, sauf application d’une dénomination légale, prescrite par le droit de l’Union européenne ou prévue par une disposition nationale, son nom usuel, ou, à défaut, son nom descriptif.
Or, il semblerait que certains des termes que le Décret entendrait interdire, pourraient correspondre à des noms usuels, ou à défaut, des noms descriptifs, alors qu’il a été précisé par l’Administration, lors de l’audience devant le Conseil d’État, que le Décret n'avait pas vocation à prescrire une dénomination légale de ces denrées.
Ainsi, le Conseil d’État a décidé de suspendre le Décret en ce qu’il s’applique d’une part à l’utilisation d’une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, la charcuterie, ou de la poissonnerie (Article 2, 3°) et, d’autre part, à l’utilisation d’une dénomination d’une denrée alimentaire d’origine animale représentative des usages commerciaux (Article 2, 4°).
Ce qui est de bon augure pour les opérateurs du secteur fabriquant des produits contenant des protéines végétales qui peuvent donc continuer à être commercialisés sous leur dénomination actuelle, dans l’attente de la décision au fond du Conseil d’État sur la légalité du Décret.