Il est un point de la version définitive de la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation1 qui n’a été anticipé ni par les parlementaires, ni par les différents commentateurs qui est celui de la différence de nature des sanctions susceptibles d’être infligées aux opérateurs économiques en matière de délais de paiement et de conditions de règlement2.
Dans sa version antérieure à l’adoption de la loi relative à la consommation, l’article L. 441-6 du Code de commerce comportait des dispositions relatives aux délais de paiement entre entreprises (cf. alinéas 8, 9, 10 et 11) et aux conditions de règlement (cf. alinéa 12) :
« Est puni d’une amende de 15 000 euros le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième et onzième alinéas, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa ainsi que le fait de fixer un taux ou des conditions d’exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes aux dispositions du même alinéa ».
Le fond de ces dispositions n’a pas été modifié par la loi relative à la consommation, à l’exception de l’introduction d’un délai de paiement maximum de 45 jours à compter de la date d’émission de la facture pour les factures récapitulatives3.
La modification phare tenait en l’introduction de sanctions administratives, d’un montant de 75.000 euros pour les personnes physiques et 375.000 euros pour les personnes morales, ces sanctions étant applicables en cas de non-respect de l’ensemble des dispositions précitées.
Le texte définitif de la loi a fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel4, les parlementaires remettant notamment en cause la conformité à la Constitution de l’article 123 du projet de loi relatif à l’introduction des sanctions administratives en matière de délais de paiement et de conditions de règlement.
L’article 123-III de la loi déférée complétait l’article L. 441-6 du Code de commerce d’un VI rédigé de la manière suivante :
« VI. – Sont passibles d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième et onzième alinéas du I du présent article, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d’exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. L’amende est prononcée dans les conditions prévues à l’article L. 465-2. Le montant de l’amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.
Sous les mêmes sanctions, sont interdites toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement mentionnés au présent article. » (soulignement ajouté)
Dans sa décision n°2014-690 DC du 13 mars 2014, le Conseil constitutionnel a tout d’abord considéré qu’il n’existait pas de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue, le montant des amendes administratives ne présentant pas un caractère manifestement disproportionné. Il est à noter que cette appréciation du Conseil vaut aussi bien pour le montant proprement dit des amendes administratives que pour le montant des amendes susceptibles d’être infligées au professionnel lorsque celui-ci ne respecte pas une injonction qui lui aurait été notifiée par l’administration en vertu de son nouveau pouvoir d’injonction introduit à l’article L. 465-1 du Code de commerce.
Surtout, le Conseil constitutionnel a relevé que l’article 123 du projet de loi n’a pas modifié l’alinéa 14 de l’article L. 441-6-I qui prévoit une sanction pénale pour certains des manquements à l’article L. 441-6.
Sauf erreur, il faut bien avouer que le maintien de cet alinéa 14 a échappé à tous et en premier lieu au législateur qui, sans abroger ce texte, a inséré des sanctions administratives pour les mêmes faits que ceux visés par l’article L. 441-6-I alinéa 14.
Ce cumul de peines n’a pas échappé à la vigilance de la Haute autorité qui a relevé que des faits qualifiés par la loi de façon identique pouvaient, selon le texte d’incrimination sur lequel se fondent les autorités de poursuite, faire encourir à leur auteur soit une amende de 15.000 euros, soit une amende de 75.000 euros pour une personne physique (le quintuple pour les personnes morales).
Selon le Conseil, « cette différence de traitement n’est justifiée par aucune différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi ; qu’eu égard à son importance, la différence entre les peines encourues méconnaît le principe d’égalité devant la loi »5.
Par conséquent, le Conseil a déclaré contraire à la Constitution dans le paragraphe VI de l’article L. 441-6 du code de commerce dans sa rédaction résultant de la loi déférée « le mot : « huitième », les mots : « et onzième » et les mots : « le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d’exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ».
Le législateur a pris acte de la décision du Conseil constitutionnel en adoptant un texte expurgé des dispositions de l’article 123 déclarées inconstitutionnelles.
Le texte de l’article L. 441-6-VI du Code de commerce est désormais le suivant :
« VI. – Sont passibles d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux neuvième alinéas du I du présent article, ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. L’amende est prononcée dans les conditions prévues à l’article L. 465-2. Le montant de l’amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.
Sous les mêmes sanctions, sont interdites toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement mentionnés au présent article ».
Cela signifie que les sanctions administratives sont uniquement applicables aux manquements qui n’étaient pas pénalement sanctionnés antérieurement à l’adoption de la loi relative à la consommation, c’est-à-dire :
Cette différence de nature des sanctions applicables ne correspond pas au souhait du législateur. Il y a malheureusement tout lieu de croire que seul un oubli pur et simple explique la situation actuelle, ce qui est d’ailleurs confirmé par le fait que le texte déféré au Conseil constitutionnel prévoyait des sanctions administratives pour l’ensemble des manquements à l’article L. 441-6.
Le tableau ci-dessous vise à synthétiser les différentes hypothèses que les opérateurs peuvent rencontrer depuis l’entrée en vigueur de la loi « consommation »6 :
PP = personne physique – PM = personne morale
Les opérateurs économiques – et leurs conseils – doivent donc être particulièrement vigilants sur ces questions car, en fonction des manquements aux règles relatives aux délais de paiement et aux conditions de règlement, les sanctions encourues n’ont ni la même nature, ni le même montant.
Cet oubli du législateur est également lourd de conséquence en termes de procédure dans la mesure où la procédure applicable aux opérateurs économiques est différente en fonction de la nature des manquements poursuivis :
Compte tenu des règles présidant au contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, le législateur n’avait pas d’autre choix que de promulguer la loi relative à la consommation, à l’exception des dispositions déclarées non conformes qui étaient séparables du reste de la loi. Mais le résultat est très regrettable tant en terme de cohérence que de sécurité juridique pour les entreprises.
1 J.O. du 18 mars 2014.
2 Le présent article se limite aux dispositions de l’article L. 441-6 du Code de commerce. Les délais de paiement réglementés de l’article L. 443-1 du Code de commerce ne seront pas évoqués.
3 L’article L. 441-6 al. 9 vise la facture périodique au sens de l’article 289-I-3 du CGI : « Elle peut être établie de manière périodique pour plusieurs livraisons de biens ou prestations de services distinctes réalisées au profit d'un même acquéreur ou preneur pour lesquelles la taxe devient exigible au cours d'un même mois civil. Cette facture est établie au plus tard à la fin de ce même mois ».
4 Texte n°295 adopté par l’Assemblée nationale le 13 février 2014.
5 Cf ; §.74 de la décision n°2014-690 du 13 mars 2014.
6 Il est à noter que les dispositions de l’article 123 de la loi relative à la consommation sont immédiatement entrées en vigueur.