Une campagne publicitaire pour des produits minceurs commercialisés par la société Protein World a récemment suscité une vague de protestations en Angleterre. Le slogan « Are you beach body ready ? » inscrit sur une affiche en lettres capitales, derrière un mannequin particulièrement mince en bikini, a fait bondir les féministes mais pas seulement. De nombreuses femmes mais également certains hommes ont réagi à cette affiche jugée sexiste. Plusieurs Londoniennes ont ainsi pris l’initiative de poser en maillot de bain devant l’affiche, dévoilant fièrement leurs rondeurs, pour affirmer qu’elles n’ont pas besoin d’être minces pour être « body beach ready ». L’affiche a même été reprise puis transformée par les sociétés Dove et Simply Be, mettant en scène des femmes rondes à la place du mannequin et affichant les réponses « Yes. We are beach body ready » et « Everybody is beach body ready ». Suite à une pétition en ligne ayant récolté plus de 60 000 signatures, une manifestation intitulée « taking back the beach » a été organisée pour mettre fin à la campagne. L’opération publicitaire a finalement été suspendue et une enquête a été ouverte par l’Autorité de Régulation de la Publicité britannique (ASA) pour déterminer si celle-ci est socialement irresponsable.
Si le code éthique ICC (International Code Council) parle bien de publicité responsable, il n’est pas question de publicité socialement responsable comme au Royaume-Uni. Alors qu’en France cette expression est couramment employée pour définir une entreprise, une forme d’investissement ou encore un mode de consommation lorsque ceux-ci tiennent compte des enjeux environnementaux, l’ASA entend par « publicité socialement responsable » une publicité non seulement conforme à l’éthique et aux bonnes mœurs, mais plus largement bénéfique à la société en général. Ce critère de « censure » propre au Royaume-Uni est appliqué de manière stricte.
En France, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) a pour mission de mener une action en faveur d’une publicité loyale, véridique et saine dans l’intérêt des consommateurs, mais également du public et des professionnels. On retrouve ainsi dans les missions de l’ARPP l’intérêt de la Société placée au premier plan. Cependant, l’ASA a pour réputation d’être plus stricte que notre ARPP. Par exemple, l’ASA n’a pas hésité à juger socialement irresponsable une publicité à la télévision montrant quelques secondes, à la fin du spot, une femme à vélo ne portant pas de casque.
En 2005, l’ARPP a créé un Conseil de l’Ethique chargé de s’assurer de l’acceptabilité du contenu de la publicité par le corps social et de proposer des adaptations des règles éthiques souhaitables. Le Conseil de l’Ethique prend ainsi en compte l’évolution des mœurs pour adapter le code aux nouvelles sensibilités. L’adultère étant presque banalisé par la société actuelle, les campagnes publicitaires Gleeden n’ont par exemple pas été censurées par l’ARPP a priori et la plainte de plusieurs particuliers auprès du Jury de Déontologie Publicitaire (JDP) a été déclarée infondée (Décision du 26 décembre 2013, n°290/13). La campagne incitant à l’adultère avec des slogans tels que « c’est parfois en restant fidèle qu’on se trompe le plus » ont en effet passé le contrôle du JDP, sans que ce dernier ne réponde à la question de la licéité de l’objet social.
En l’espèce, il semblerait que ce soit l’association de la photographie et du slogan qui a soulevé les foules. Alors que le slogan pose la question « Are you beach body ready ?« , l’affiche y répond directement par la photo du mannequin affichant une plastique parfaite. La publicité sous-entendrait alors qu’un prérequis est exigé avant de pouvoir exposer son corps à la plage à la vue de tous : être mince. Cette interprétation relativement choquante expliquerait la révolte des Londoniens contre cette réification du corps de la femme. Mais est-ce réellement le message qu’il faut y voir ?
D’après le responsable marketing de Protein World, il s’agirait d’une « interprétation erronée d’une minorité irrationnelle » et le but de la campagne serait d’ »encourager une nation à être en meilleure forme, plus saine« . Il paraît difficile en l’absence d’études de juger de l’impact, plutôt positif ou négatif, d’une telle campagne. Cependant, le débat ne porte pas sur les bienfaits ou non de cette campagne, ni même sur les éventuelles conséquences médicales, mais plutôt sur le respect de la liberté individuelle.
Le retrait d’une telle campagne peut soulever certains questionnements et notamment celui des limites à la liberté d’expression protégée en particulier par l’article 10 de la Convention Européenne pour la Sauvegarde des Droits de l’Homme et du Citoyen. La suppression d’une publicité peut se comprendre aisément lorsqu’elle incite à adopter un comportement dangereux ou lorsqu’elle se révèle choquante ou nuisible pour la société de manière évidente. Ce fut le cas de nombreuses publicités pour des voitures encourageant une conduite dangereuse, notamment pour des voitures de sport, ou encore de publications dans des magazines incitant à une consommation excessive d’alcool. La question est cependant plus épineuse pour des campagnes comme celle de Protein World qui ne présente aucune de ces caractéristiques.
En outre, l’humour participe expressément de la liberté d’expression et les institutions lui accordent une place de taille. L’ARPP a par exemple répondu en ces termes à une association de féministes militant contre une campagne de publicité pour le fromage Cantal : « une autre option, celle que nous retenons, est de faire le pari de l’intelligence du public et de sa capacité à ne pas tout prendre au degré zéro« . Il s’agissait de spots publicitaires mettant en scène un couple, l’homme délaissant sa femme de différentes manières dès qu’il s’apercevait qu’elle n’avait pas pensé à apporter le Cantal. Dans notre cas, on peut relever, si ce n’est une touche d’humour, au moins un aspect plaisant dans le choix et l’agencement des termes du slogan qu’il ne faut finalement probablement pas prendre au premier degré.
Faut-il alors partir du postulat que la plupart des femmes en voyant cette affiche va complexer sur son poids et courir acheter le produit commercialisé car la société actuelle lui impose ? N’est-ce pas une évidence que toutes les femmes n’ont pas « l’obligation sociale » de se présenter à la plage avec un corps de mannequin ? Finalement, ne faudrait-il pas accorder une plus grande confiance aux consommateurs et « faire le pari de l’intelligence du public » dans ce genre de situation?
Enfin, on peut se demander en quoi cette campagne serait plus choquante que n’importe quelle publicité que l’on peut trouver dans tout magazine féminin (et même masculin) qui vous vendra des astuces miracles pour se muscler les fesses et perdre un peu de ventre avant « l’épreuve du maillot de bain » !
Encore faut-il encore que le produit tienne ses promesses pour que la campagne ne tombe pas sous le coup de la publicité mensongère…