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Actualité
5/7/17

Prérogatives morales : des entraves à l'exploitation des oeuvres plutôt que des composantes du droit

Dans le système continental, le droit moral est clairement posé comme une composante du droit et même parfois comme la première (voir l’ordre de présentation dans le Code de la propriété intellectuelle en France). Dans le copyright des États-Unis ou du Royaume-Uni, malgré la ratification de la Convention de Berne, le droit moral est incontestablement envisagé comme une entrave à la liberté d’exploitation de l’œuvre (d’où son encadrement très strict). La dénomination même de moral rights est pour beaucoup suspecte car elle renvoie à « quelque chose de non juridique, quelque chose de méta-juridique » a-t-on dit.

L’histoire de cette prérogative, au Royaume-Uni et aux États-Unis, avant l’adoption des lois 1988 (CDPA) et de 1990 (VARA), est une histoire de sollicitation décousue du droit commun aux fins de protection (on a parlé à ce sujet de patchwork, de protection morcelée, piece-meal). Le droit moral fut en effet protégé indirectement par des mécanismes tels que le passing-off, la diffamation, les droits de la personnalité le droit des contrats…

Le droit moral, dans les pays du copyright, présente encore aujourd’hui des différences très importantes avec les pays de droit continental (même si l’on sait qu’au sein de l’Union européenne, le droit moral, non harmonisé, n’est pas consacré partout de la même manière).

Tout d’abord, le droit du copyright ne comporte ni droit de repentir, ni droit de divulgation, ni droit de s’opposer à la destruction des œuvres. Le droit moral, ensuite, n’est pas soumis à la même durée. Les droits d’attribution ou au respect de l’œuvre sont protégés, au Royaume Uni et aux États-Unis, jusqu’à la mort de l’auteur ; le droit de lutter contre les fausses attributions est protégé, au Royaume Uni, 20 ans après sa mort. Le droit au respect de l’intégrité qui est certainement la prérogative la plus emblématique, enfin, est strictement encadré et elle ne permet pas de lutter contre les altérations des œuvres. Tout ceci sans évoquer la limitation des œuvres (aux États-Unis le droit ne joue que pour les œuvres d’art visuel), ou les renonciations contractuelles qui sont admises de manière beaucoup plus large que dans nos systèmes.

Ceci étant précisé, nous nous attacherons au droit moral dans le copyright du Royaume-Uni et plus particulièrement au droit à l’intégrité (précisons que le CDPA protège également le droit de paternité et le droit de s’opposer aux fausses attributions).

Le droit à l’intégrité, qui a été consacré en 1988, est le droit de s’opposer aux traitements dérogatoires apportés à l’œuvre (certaines œuvres, comme les journaux ou les logiciels sont exclues de la protection). Cette prérogative est soumise à des conditions très strictes. Elle est mise à l’écart en présence de certaines exceptions et elle peut faire l’objet de renonciations. L’on comprend dans ces conditions pourquoi il est parfois utile de faire appel à des mécanismes juridiques périphériques.

Deux conditions sont nécessaires : l’œuvre doit avoir fait l’objet d’un traitement dérogatoire et être diffusée dans des circonstances particulières. Cette seconde condition n’appelle pas de commentaires particuliers. Le traitement dérogatoire suscite, quant à lui, de nombreuses discussions. Qu’est-ce, en effet, qu’un traitement ? Et en quoi est-il dérogatoire ?

1. Qu’est-ce, en effet, qu’un traitement ?

Sur le premier point, la section 80 (2) définit le traitement comme toute addition, suppression, modification ou adaptation de l’œuvre. Selon la formule consacrée par le juge et la doctrine, la définition légale implique une modification interne de la structure de l’œuvre.

Concrètement, un morceau de tableau est coupé avant son exposition, une œuvre en noir et blanc est colorisée, elle est réduite… Ce texte n’a jamais suscité beaucoup de précisions de la part du juge.

Dans l’affaire Confetti Records v. Warner Music UL Ltd, évoquée plus bas, le juge a bien reconnu le traitement apporté à l’œuvre musicale source, sans préciser en quoi il consistait (le fait de transformer un morceau musical  en rap ? le fait de répéter le même mot…. ?).

Quoiqu’il en soit, la conception qui est ici défendue est beaucoup plus étroite que celle qui figure dans la Convention de Berne qui concerne toutes les actions dérogatoires sur l’œuvre. Il est parfaitement possible de porter atteinte à l’œuvre sans toucher à sa structure interne. Ce sera le cas par exemple lorsqu’une œuvre musicale, noble, est introduite dans une compilation, vulgaire, ou bien lorsqu’une œuvre d’art est exposée dans un lieu malfamé.

L’atteinte au respect de l’œuvre est une atteinte à l’intégrité mais également à son esprit. Mais l’on aura compris que le copyright britannique ne protège pas cette dernière dimension.

2. À supposer qu’il y ait traitement, en quoi, celui-ci est-il dérogatoire ?

Selon la section 80 (2) b, le traitement de l’œuvre est dérogatoire en présence d’une œuvre mutilée, déformée ou qui porte atteinte à l’honneur et à la réputation.

L’une des premières questions posées par ce texte est de savoir s’il peut y avoir mutilation ou déformation de l’œuvre sans atteinte à l’honneur et à la considération ? (l’hypothèse contraire ne pose aucune difficulté). La réponse est certainement positive mais elle n’a été apportée qu’indirectement par le juge à l’occasion d’un litige sur le recadrage d’une photographie. La question suivante est plus délicate : que faut-il entendre par atteinte à l’honneur et à la considération (une condition présente dans la Convention de Berne sous l’influence du Royaume-Uni) ?

Plusieurs décisions illustrent cette notion et montre que l’exercice de ce droit est difficile. Sans évoquer la célèbre décision Canadienne Snow v. The Eaton Centre1 rendue en 1982 par la Haute cour de justice de l’Ontario (à propos d’oies sculptées et exposées dans un centre commercial auxquelles l’on avait ajouté des rubans à noël) deux affaires britanniques permettent d’illustrer ce point.

La première (Tidy v. Trustee of the Natural History Museum2) a été rendue en 1996. Elle opposait un dessinateur, Bill Tidy, à un Musée d’histoire naturelle, cessionnaire de droit sur une série de dessins de dinosaures en noir et banc. Le dessinateur reprochait au Musée d’avoir réduit fortement ses dessins dans un livre et de les avoir colorisés sans autorisation. L’action est rejetée par la Haute cour qui considère que l’auteur n’avait pas rapporté la preuve que cette représentation réduite avait modifié la perception du public.

La deuxième affaire (Confetti Records v. Warner Music UL Ltd3) rendue en 2003 opposait deux groupes de musiciens. Les seconds avaient adapté dans un univers de rap les paroles d’un morceau en y ajoutant un tempo continu et la répétition du mot burning. Le musicien de l’œuvre source se plaignait du fait que son œuvre ait été plongée dans une ambiance de rap avec des paroles qui pouvaient être interprétés comme un appel au lynchage. Le traitement dérogatoire n’est pas, une fois encore, accueilli par le juge. Outre le fait que l’œuvre initiale baignait déjà elle-même dans un univers de rap, le juge va considérer que le demandeur ne rapportait pas la preuve de l’atteinte à l’honneur et à la considération. Les enseignements de ces jurisprudences sont doubles. L’atteinte à l’honneur et à la réputation que la doctrine anglaise rapproche de la diffamation ou de dignité, est une atteinte objective et non subjective. Le juge, exige un certain seuil de gravité. Pour faire référence à un concept français, l’on pourrait dire que l’atteinte à l’honneur et à la réputation doit être manifeste.

Interprété strictement, amoindri de prérogatives essentielles, mis à l’écart pour certaines œuvres, le droit moral peut encore faire l’objet de renonciations de la part de l’auteur. Selon la section 87 de la loi de 1988, la renonciation peut être spéciale ou générale (ce qui n’est pas possible dans la plupart des systèmes de droits continentaux). Elle peut porter sur des œuvres présentes mais également sur des œuvres futures. Dans tous les cas elle nécessite un écrit clair. De fait, les exploitants stipulent très souvent ces renonciations ce qui réduit à néant le droit moral.

La protection morale peut alors être acquise en sollicitant le droit de la diffamation (le fait de présenter une œuvre avec de nombreuses erreurs est susceptible de porter atteinte à l’honneur et à la considération de la personne) ou le droit des contrats (voir par exemple l’affaire Frisby v. BBC4 ou un contrat autorisait par avance un exploitant à procéder à des corrections mineures qui n’ont pas été considérées comme telles par le juge).

Jean-Michel BRUGUIERE

1 Snow v. The Eaton Centre (1982) 70 CPR (2d) 105 Canada

2 Tidy v. Trustee of the Natural History Museum (1996) EIPR D-86, (1998) 39 IPR 501.

3 Confetti Confetti Records v. Warner Music UK Ltd (2003) EMLR (35) 790

4 Frisby v. BBC Ch. 932

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