La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience, dite loi « climat et résilience », riche de ses 305 articles, poursuit de très nombreux objectifs en matière de consommation (retour à la case consigne pour le verre !), de publicités (celles pour les énergies fossiles et les véhicules polluants seront interdites), de marchés publics (qui devront comporter une clause écologique)…
Elle comporte également des dispositions en matière de propriétés intellectuelles qui concernent les pièces détachées automobiles et sur lesquelles nous attirons votre attention.
En l’état de notre droit positif, les pièces détachées automobiles visibles (ailes, capots, pare-chocs, pare-brise, feux, rétroviseurs, etc.) sont protégées par la loi sur les dessins et modèles et par les dispositions relatives aux droits d’auteurs. Ces pièces font l’objet de deux marchés distincts.
Celui dit de « la première monte » où les produits sont systématiquement protégés par les dits droits de propriété intellectuelle et celui de la « seconde monte » correspondant à la vente des pièces pour la réparation des véhicules qui a été libéralisée par plusieurs Etats de l’Union au moyen d’une « clause de réparation » (onze pays dans l’Union européenne dont l’Allemagne).
S’oppose donc sur cette scène économique, les grands constructeurs français et les fabricants de pièces détachées automobiles et, en vertu du droit français, seul le constructeur automobile peut distribuer ces pièces aux différents réparateurs.
Dans un avis n°12-A-21, l’Autorité de la concurrence avait recommandé, après avoir étudié le fonctionnement de la concurrence dans le secteur, de lever, de façon progressive et maîtrisée, le monopole détenu de fait par les constructeurs sur les pièces détachées visibles, en commençant notamment par les pièces de vitrage.
L’Autorité avait estimé que cette ouverture à la concurrence conduirait à une baisse des prix de ces pièces tout en assurant un fonctionnement plus efficace du secteur.
Lors de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités en 2019, l’Assemblée nationale avait déjà adopté un amendement du gouvernement visant à une libéralisation du marché des pièces détachées visibles pour l’automobile, mais celui-ci avait été censuré par le Conseil constitutionnel pour cause de cavalier législatif1.
La loi du 22 août 2021 reprend ce dispositif et apporte trois séries de modifications au Code de la propriété intellectuelle.
Tout d’abord l’article L. 513-6 dispose que les droits conférés par l’enregistrement d’un dessin ou modèle ne s’exercent pas à l’égard d’actes visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque qui portent sur des pièces relatives au vitrage, à l’optique et aux rétroviseurs ou qui sont réalisés par l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine.
Ensuite, l’article L. 513-1 prévoit que la durée de protection maximale de vingt-cinq ans fixée par cet article est ramenée à dix ans pour les pièces détachées visibles pour l’automobile.
Cette mesure concerne les équipementiers autres que ceux de première monte, auxquels la protection au titre des dessins et modèles ne sera plus opposable que pendant une durée de dix ans. Enfin, afin que le droit d’auteur ne prenne pas le relais du droit des dessins et modèles, l’article L. 122-5 institue une nouvelle exception pour les pièces détachées qui font l’objet des mesures de libéralisation. La loi prévoit des mesures transitoires.
Ainsi l’article 32 précise que la libéralisation du marché des pièces de vitrage, d’optique et des rétroviseurs pour l’ensemble des équipementiers sera effective à compter du 1er janvier 2023. Un temps pour s’adapter à ces nouvelles règles.
Ces dispositions qui ont été saluées par l’Autorité de la concurrence dans un communiqué du 25 août 2021, accroitront certainement le pouvoir d’achat du consommateur. Elles dynamiseront la compétitivité des équipementiers.
Certains ont dit qu’elle éviterait le recours illicite à la contrefaçon, ce qui est tout de même paradoxal, puisqu’il s’agit ici de supprimer les droits de propriété intellectuelle…
Plusieurs questions restent à poser. Sur le terrain du droit d’auteur n’y a-t-il pas une rupture d’égalité parmi les titulaires ? Une clause de réparation pour les véhicules terrestre à moteur mais quid pour les avions, les bateaux ? Et pourquoi mettre à part les équipementiers ayant fabriqué la pièce d’origine ?
Sur le fondement du droit des dessins et modèles, l’on s’est demandé si la réduction de la durée de protection de 25 à 10 ans était bien conforme à la directive 98/71.
Une question préjudicielle en vue ? En bref, il est fort possible que les grands constructeurs automobiles français n’aient pas dit leur dernier mot. Quoiqu’il en soit, l’on voit bien avec ces quelques dispositions en quoi le propriété intellectuelle et le droit la concurrence convergent totalement3.
1 Cons. const. 20 déc. 2019, n° 2019-794 DC, pt 62, RTD civ. 2020. 581, obs. P. Deumier
2 J.-Ch. Galloux « L’histoire extravagante des pièces de rechange automobiles en droit français », in Mélanges Michel Vivant, « Penser le droit de la pensée », LexisNexis. Dalloz, 2020, spec. P. 183 et s
3 Ce qui n’est pas l’opinion dominante en la matière. Sur ce débat voir « La propriété intellectuelle dans les droits du marché et de la rivalité concurrentielle », Dalloz 2016, Dir. J.-M Bruguière