La 14ème chambre de la Cour d’appel de Paris a confirmé l’interdiction de diffusion du programme télévisé et web d’Arte, « Intime conviction », prononcée par le juge des référés le 27 février dernier.
L’interdiction de diffusion d’une œuvre audiovisuelle est une mesure exceptionnelle, qui constitue une véritable censure. La Cour d’appel de Paris a cependant estimé que cette mesure était strictement proportionnée à l’atteinte commise. Cette décision nous parait cependant critiquable à deux égards.
Le Docteur Muller reprochait au producteur et à la chaine de télévision Arte de présenter comme une fiction un programme qui en réalité, selon lui, était en tout point basée sur des éléments de sa vie privée.
Les défendeurs soutenaient qu’il ne pouvait leur être reproché d’avoir repris des éléments issus d’une affaire judiciaire ultra-médiatisée et que le droit à l’information du public devait primer sur le droit du Docteur Muller à voir protégée sa vie privée.
Or, le juge a estimé que les défenderesses avaient produit une fiction et non une information. Mais le procès du Docteur Muller fait partie de l’histoire judiciaire et les éléments de sa vie privée évoqués lors de son procès étaient donc sortis de la sphère privée pour entrer dans le champ public. Dans ces conditions, ne pouvaient-ils pas être rappelés même dans le cadre d’une fiction ?
Le Docteur Muller reprochait également aux défenderesses d’avoir commis une faute de nature à engager leur responsabilité délictuelle sur le fondement de l‘article 1382 du Code civil, cette faute consistant à remettre en cause son sort judiciaire entre les mains des Internautes alors qu’il avait été définitivement acquitté en octobre 2013.
Sur ce point, le juge a estimé que « La parodie de justice à laquelle se livrent les comédiens, les anciens magistrats, les actuels avocats et les jurés peut avoir un but pédagogique mais pour ce faire, elle ne peut pas s’appuyer sur des faits récents et refaire le procès d’un homme qui vient de vivre 14 années de procédure difficiles ni prétendre refaire le vrai procès qui pour des raisons entre autres de protection de la vie privée, ne peut en aucun cas être filmé. En conséquence, en proposant aux internautes de juger non pas Paul Villers mais bien le Docteur Jean-Louis Muller […], les défenderesses ont commis une faute délictuelle. »
Il relève également la douleur légitime du Docteur Muller de voir que « peuvent être exprimés librement par l’intermédiaire du programme, des avis sur sa culpabilité ou son innocence, avis qui n’ont pas lieu d’être« .
Cela justifiait-il pour autant l’interdiction pure et simple du programme ? Un avertissement du téléspectateur ou de l’Internaute n’aurait-il pas constitué une mesure plus équilibrée pour protéger les intérêts en présence ?
On s’interrogera surtout sur le fondement juridique invoqué : Le reproche principal était finalement que le programme revenait à remettre en cause l’innocence du Docteur Muller. Dans ces conditions, l’action n’aurait-elle pas dû être engagée sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 ? En appel comme en première instance, le juge n’a pas retenu cet argument, considérant que le Docteur Muller ne soutient pas que le programme litigieux le présentait comme un meurtrier, mais remettait en cause la décision d’acquittement. On ne saisit vraiment pas bien la différence entre ces deux griefs…
Les téléspectateurs ne pourront donc pas voir l’épilogue de ce programme, qui aurait dû être dévoilé le 2 mars sur le web et qui devait prendre la forme de deux verdicts, l’un prononcé par le jury présent au procès fictif, l’autre issu du vote des internautes.