Le 13 avril 2021, le CIGREF1 et le CISPE2, respectivement représentants des entreprises françaises utilisatrices de services numériques et des fournisseurs d’infrastructures cloud en Europe, ont publié une liste de dix principes de bonne pratique contractuelle3 à adopter afin de rééquilibrer les rapports entre les éditeurs de logiciels et les clients utilisant le cloud.
Ils dénoncent « les pratiques commerciales déloyales » de certains éditeurs et demandent que ces principes soient pris en considération dans la proposition de législation européenne portant sur les marchés numériques (Digital Market Act – « DMA ») afin d’assurer un marché du cloud juste et concurrentiel.
Cette communication s’inscrit dans le cadre de tensions grandissantes entre les grands éditeurs américains de logiciels SaaS et les clients dont la dépendance à l’égard des outils SaaS ne cesse de s’accroitre.
« Pratiques anti-concurrentielles », « conditions abusives ayant un effet délétère sur [les] opportunités business, [la] croissance et l’agilité [des entreprises utilisatrices] »4 sont autant de termes utilisés pour décrire les pratiques des éditeurs de logiciels.
En droit français, les pratiques restrictives de concurrence sont sanctionnées par le Code de commerce, notamment à l’article L.442-1-I-2° qui interdit « de soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations aux parties ».
La jurisprudence française reconnaît le déséquilibre significatif dans « l’insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d’adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses »5. L’adoption par un nombre significatif de cocontractants de clauses identiques manifestement défavorables6 constitue également un indice à la reconnaissance du déséquilibre significatif.
Les sanctions attribuées aux pratiques restrictives de concurrence sont énumérées à l’article L.442-4 du Code de commerce et peuvent atteindre jusqu’à cinq millions d’euros, le triple du montant des avantages indument perçus ou obtenus ou encore 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos.
Pour le CIGREF et le CISPE, le périmètre d’usage des logiciels, les conditions financières qui en découlent mais aussi les difficultés liées à la réversibilité des licences SaaS sont les principales problématiques que la charte a vocation à résoudre.
Cette dernière établie des principes directeurs s’articulant principalement autour de trois axes : l’amélioration des conditions d’utilisation des logiciels (i), la protection accrue des libertés accordées aux clients et (ii) l’optimisation des coûts liés à l’utilisation du logiciel (iii).
En dernier lieu, la liste pose un principe de continuité de l’assistance, assurée par les éditeurs, lorsque les clients sont autorisés à revendre leur licence de logiciel (n°10).
Il n’en demeure pas moins que ces principes ont simple valeur de recommandation, et ne sont donc pourvus d’aucune force contraignante.
S’il est surprenant de constater que, pour l’heure, le contentieux judiciaire lié aux questions relatives à l’exécution des contrats SaaS demeure faible, le mouvement de mobilisation des entreprises utilisatrices sous l’impulsion du CIGREF et du CISPE devrait donner lieu à une multiplication des différends.
Pour les éditeurs de logiciels, cette communication a un fort goût d’avertissement. Ces derniers doivent veiller à une négociation effective des conditions contractuelles sous peine de se voir sanctionner pour pratique restrictive de concurrence au sens des textes évoqués ci-dessus. Pour les contrats déjà conclus, un avenant visant à rééquilibrer les rapports contractuels doit être envisagé.
Côté utilisateur, un examen minutieux des clauses doit être réalisé afin d’identifier un éventuel déséquilibre entre les parties. Le cas échéant, la rédaction d’un avenant au contrat doit être sollicitée auprès de l’éditeur.
L’un des atouts majeurs de la licence Saas repose sur la standardisation des conditions économiques et juridiques de l’offre de l’éditeur afin d’assurer la scalabilité des outils SaaS.
Le curseur entre l’attente légitime du client à la personnalisation de son offre et les conditions de viabilité des outils proposés par l’éditeur doit être subtilement positionné. Pour ce faire, les conditions particulières au contrat peuvent être adaptées aux spécificités du client.
1 Cercle Informatique des Grandes Entreprises Françaises
2 Cloud Infrastructure Services Providers in Europe
4 Communiqué de presse du CIGREF
5 CA Paris, 20 décembre 2017, n°13/04879
6 Cass. Com., 20 nov.2019, n°18/12823