L’Assemblée nationale a adopté, jeudi 16 mai, une proposition de loi dont l’article premier proclame :
« La République combat le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Elle ne reconnaît l’existence d’aucune prétendue race ».
Et puisque la République ne reconnait aucune race, la proposition de loi supprime radicalement le mot « race » de tous les textes de loi qui pouvaient sembler en accréditer l’existence, à savoir dans neuf codes et 13 lois non codifiées, notamment dans le Code pénal, le Code de procédure pénale et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, « à l’exception des textes où il se réfère à la désignation d’espèces animales ».
Cette proposition de loi doit être transmise au Sénat, avant d’être le cas échéant à nouveau examinée par l’Assemblée nationale en vue d’être adoptée, puis promulguée par le Président de la République.
Cette suppression du mot « race » de tous les textes de loi, si le processus législatif devait aboutir, nous parait créer davantage de problèmes qu’elle ne prétend en résoudre pour combattre le racisme.
D’abord, on change la Loi avant la Constitution. Or, la constitution du 4 octobre 1958 dans son article 1er proclame que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. ».
L’adoption d’une loi visant à supprimer le mot « race » de la législation française implique donc à l’évidence une modification de la constitution. Or, on nous annonce que cette modification n’interviendra pas lors de la première révision constitutionnelle, prévue pour le 22 juillet prochain.
Modifier la loi avant la constitution, inverser les priorités, ne pas respecter la hiérarchie des normes, fera encourir à la future loi un risque important d’inconstitutionnalité.
Aucune urgence n’impose de prendre le risque d’offrir aux plaideurs mal intentionnés l’occasion de mettre en cause, par le biais d’une question prioritaire, la constitutionnalité des lois combattant le racisme, au risque d’affaiblir une lutte aujourd’hui effective.
Bien plus, la suppression du mot « race » de nos lois ne repose en réalité sur aucune nécessité logique. Si le législateur entend établir comme une vérité scientifique qu’il n’existe pas de prétendue race, il n’est nullement tenu de supprimer le mot lui-même des lois qui combattent le racisme. Si ces lois punissent ceux qui incitent à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes, ou les discriminent, en raison de leur race, cela n’atteste pas de la croyance du législateur en l’existence des races humaines, cette croyance étant née uniquement dans l’esprit de la personne poursuivie !
Peu importe en réalité la raison qui sous-tend le racisme, l’objet de l’arsenal législatif existant est de combattre toute atteinte à l’égalité devant la loi des citoyens, qu’elle soit fondée sur l’origine, sur l’ethnie, notion dont la République admet l’existence, sur la religion ou sur la race, notion large permettant d’incriminer un grand nombre de motifs racistes.
En procédant à la suppression du mot « race », le législateur croit littéralement supprimer le mal à la racine, pensant qu’il n’y a pas de racisme sans race.
Cette conception est gravement erronée. C’est sur la reconnaissance des différences entre les individus, non sur leur négation, que repose le principe démocratique d’égalité des citoyens. Le législateur n’a pas à prendre position sur l’existence des races pour combattre le racisme, car la République postule que rien ne justifie qu’il soit porté atteinte à l’égalité de tous devant la loi
Dès lors que le substantif « race » aura perdu toute existence scientifique et légale, la loi réprimera-t-elle désormais toute opinion tendant à ranger des populations humaines dans des catégories, même sans en tirer aucune discrimination ?
Va-t-on qualifier de racistes ceux qui continueront de se référer aux races sans aucune hiérarchisation liée ?
Supprimer le mot « race » ne supprimera bien évidemment pas le racisme mais peut l’accentuer en contribuant à nier que le génie de l’humanité est issu de sa diversité1.
1 « … nous ne pourrons parfaire l’union que si nous comprenons que nous avons tous une histoire différente mais que nous partageons de mêmes espoirs, que nous ne sommes pas tous pareils et que nous ne venons pas du même endroit mais que nous voulons aller dans la même direction, vers un avenir meilleur pour nos enfants et petits-enfants. ». Barack Obama