Le 10 décembre dernier la loi n° 48-824 du 14 mai 1948 réglementant l’emploi de la dénomination de qualité « fait main » et l’emploi de l’expression « bottier » dans l’industrie et le commerce a fait l’objet d’un avis motivé de la part de la Commission européenne.
Selon la Commission une telle réglementation est de nature à empêcher la commercialisation en France des chaussures fabriquées au sein d’autres Etats membres sous les qualificatifs français « fait main », « cousu main » ou toute autre formule d’une signification similaire dès lors qu’elles ne respectent pas la réglementation française en la matière.
En effet, en vertu des dispositions de la loi de 1948 « la dénomination de qualité « fait main » est exclusivement réservée, dans le commerce de la chaussure, aux chaussures qui ont été confectionnées à la main, sans intervention de la machine, sauf en ce qui concerne l’assemblage des diverses pièces composant la tige » (Article 1).
Ainsi, cette loi interdit l’utilisation des expressions telles que « cousu main », « façon main », « tout main » ainsi que toute autre formule qui pourrait laisser croire au consommateur que les chaussures ont été fabriquées à la main en respectant les exigences législatives françaises en la matière.
La Commission considère que la législation française serait contraire au principe européen de la reconnaissance mutuelle et s’analyserait ainsi en une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à la libre circulation de marchandises qui est expressément interdite par l’article 34 du TFUE.
Rappelons qu’en vertu du « principe de reconnaissance mutuelle » :
« un État membre ne saurait en principe interdire la vente sur son territoire d’un produit légalement fabriqué et commercialisé dans un autre État membre, même si ce produit est fabriqué selon des prescriptions techniques ou qualitatives différentes de celles imposées à ses propres produits. En effet, dans la mesure où le produit en cause répond «de façon convenable et satisfaisante» à l’objectif légitime visé par sa réglementation (sécurité, protection du consommateur, environnement, etc.), l’État membre importateur ne saurait, pour justifier l’interdiction de vente sur son territoire, invoquer le fait que les moyens utilisés pour atteindre cet objectif sont différents de ceux imposés aux produits nationaux. »1
Une telle restriction aux échanges intracommunautaires est toutefois susceptible d’être justifiée. Certaines justifications limitativement énumérées sont prévues par le Traité lui-même2 (telles que la protection de la moralité publique, de l’ordre public, de la sécurité publique etc.) alors que d’autres (telles que la protection des consommateurs, la protection de l’environnement, le pluralisme de la presse et autres) sont d’origine prétorienne.
Cependant, la Commission européenne a considéré que dans le cas d’espèce, la mesure n’était pas proportionnée et ne pouvait pas être justifiée par la protection des consommateurs.
La France dispose dès lors d’un délai de deux mois pour notifier à la Commission les mesures correctives envisagées.
En l’absence de réaction ou d’adoption de mesures satisfaisantes, la Commission européenne pourrait déférer l’affaire à la Cour de justice de l’Union européenne.
Il convient de souligner que le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques3 avait prévu l’abrogation de la loi de 1948 mais cet amendement a été rejeté en première lecture par le Sénat.
1 Communication de la Commission sur les suites de l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes, le 20 février 1979, dans l'affaire 120-78 (Cassis de Dijon), Journal officiel n° C 256 du 03/10/1980 p. 0002 – 0003.
2 Article 36 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne.
3 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, JORF n°0181 du 7 août 2015 page 13537.