L’Assemblée nationale a adopté le 6 octobre en 1ère lecture le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Plusieurs dispositions intéressent le secteur de la musique, afin de tenir compte des nouveaux modes d’utilisation et de la montée en puissance des plateformes digitales. Elle s’inspire du rapport « Lescure » sur les politiques culturelles à l’ère numérique.
Concernant les auteurs et compositeurs, rien de bien nouveau si ce n’est que, selon l’article L.131-2 du Code de la propriété intellectuelle (« CPI« ) modifié, l’exigence d’un contrat écrit serait désormais généralisée à tous les contrats portant sur « la transmission des droits d’auteurs« . Mais selon l’ancien texte, les contrats d’édition (notamment musicale) étaient déjà soumis à la règle. Surtout, le texte habilite le gouvernement à transposer par voie d’ordonnance la Directive 2014/26/UE sur la gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins et l’octroi de licences multi-territoriales de droits sur des œuvres musicales, afin de faciliter la gestion des droits d’auteurs par voie numérique.
La loi concerne surtout les droits voisins, en encadrant la relation entre artistes et producteurs de phonogrammes, puis entre producteurs et éditeurs de plateformes numériques.
Un chapitre intitulé « Contrats conclus entre un artiste-interprète et un producteur de phonogrammes » serait inséré dans le CPI, qui tendrait à transposer aux artistes les règles formalistes protectrices des auteurs : indifférence de la conclusion d’un contrat de travail à la jouissance des droits de l’artiste (alors que les artistes sont présumés salariés du producteur pour la séance d’enregistrement) ; exigence que le contrat mentionne chacun des droits cédés, en particulier pour les modes d’exploitation non-prévisibles à la date du contrat.
L’analogie avec les droits des auteurs trouve ses limites du point de vue de la rémunération : la loi ne va pas jusqu’à exiger qu’une rémunération proportionnelle à l’exploitation de l’interprétation soit prévue, mais seulement qu’outre le salaire versé en contrepartie du droit de fixer l’interprétation (le « cachet »), soit prévue une rémunération distincte pour chaque mode d’exploitation du phonogramme, notamment sous forme physique et par voie électronique.
Jusque-là, la Loi modifie certes le droit, mais n’ajoute pas grand-chose aux usages et pratiques contractuelles du secteur, telles qu’elles résultent notamment de la convention collective.
Plus innovante est en revanche l’insertion, à la demande des députés, d’un article L.212-13-1, qui énonce que « la mise à disposition d’un phonogramme (…) dans le cadre des diffusions en flux, fait l’objet d’une garantie de rémunération minimale » déterminée par la voie d’un accord-collectif, et à défaut d’accord dans un délai de 12 mois, par Décret. Clairement, les plateformes de streaming musical sont ici visées. L’on retrouve le mécanisme désormais bien connu en la matière consistant à pousser les parties prenantes à s’accorder sous la menace d’une réglementation. En pleins débats à l’Assemblée nationale, la Ministre de la culture annonçait que les représentants des artistes et des producteurs avaient trouvé un accord, qui finalement se borne à fixer le cadre d’une négociation à venir bien difficile. La société d’artistes SPEDIDAM, qui a vu sa proposition de licence légale rejetée, a fait savoir qu’elle n’y participera pas.
Enfin, la loi prévoit qu’ « en cas d’abus notoire dans le non-usage par un producteur de phonogramme des droits d’exploitation qui lui ont été concédés » le juge ordonne « toute mesure appropriée » ; on pense ici notamment à la faculté pour l’artiste de résilier (en tout ou partie) le contrat et de récupérer ses droits. À cet égard, il est également prévu que lorsque le contrat prévoit au bénéfice de l’artiste une rémunération proportionnelle à l’exploitation, le producteur est tenu d’une reddition de compte semestrielle.
Un article L.213-3 serait inséré selon lequel « le contrat conclu par le producteur d’un phonogramme avec un éditeur de service de communication au public par voie électronique mettant à disposition des œuvres musicales fixe les conditions de l’exploitation des phonogrammes de manière objective et équitable. Ces conditions ne peuvent comporter de clauses discriminatoires non justifiées par des contreparties réelles« .
On voit qu’il s’agit d’essayer de protéger les petits labels de musique par rapport aux majors, dans les négociations avec les plateformes digitales. L’intention est louable, mais en pratique l’objectivité et l’équité des conditions – concepts « mous » par excellence – seront difficiles à définir.
A cet égard, la Loi institue également un « médiateur de la musique », autre figure législative en vogue après le médiateur du cinéma, qui pourra, sans préjudice de la faculté de saisir le juge, appliquer ce nouveau cadre législatif aux relations contractuelles de la filière musicale, et amener les partie prenantes à s’entendre sur ces notions d’objectivité et d’équité.
Enfin, et c’est un apport des députés car le projet gouvernemental ne le prévoyait pas, le régime de la licence légale des phonogrammes du commerce (article L.214-1) est étendu à la communication au public des phonogrammes par un service de radio au sens de la Loi sur l’audiovisuel, ce qui vise certainement les Web-radios, puisque ce régime s’appliquait déjà à la radiodiffusion par les ondes.
La loi va désormais être transmise au Sénat. À suivre…