Dans un arrêt du 22 juin 2022, la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») a précisé, dans le cadre d’une question préjudicielle, le champ d’application temporel de certaines dispositions issues de la directive 2014/104, dite « dommage », et notamment celles relatives (i) aux délais de prescription prévus par l’article 10 et (ii) aux règles de preuve prévues par l’article 17 §1 et §2.
À titre liminaire, la CJUE rappelle que la directive « dommage » interdit, d’une part, l’application rétroactive de toute réglementation nationale transposant les dispositions substantielles et, d’autre part, l’application avant la date de son entrée en vigueur, soit le 26 décembre 2014, de toute réglementation nationale transposant les dispositions procédurales (non-substantielles).
La CJUE a tout d’abord qualifié de « disposition substantielle » l’article 10 de la directive 2014/104, concernant les règles relatives aux délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts (point de départ du délai de prescription, durée de ce délai et circonstances dans lesquelles il est interrompu ou suspendu). En effet, « le délai de prescription, en entraînant l’extinction de l’action en justice, se rapporte au droit matériel puisqu’il affecte l’exercice d’un droit subjectif dont la personne concernée ne peut plus se prévaloir effectivement en justice » (point 46).
Ensuite, la CJUE a indiqué qu’il convenait de vérifier si la situation du requérant était toujours en cours, au regard du délai de prescription applicable à son action indemnitaire, au moment de l’entrée en vigueur des dispositions transposant la directive dans le droit national ou, en cas de transposition tardive, à l’expiration du délai de transposition.
La CJUE a précisé que le délai de prescription d’un recours en indemnisation commence à courir dès lors que l’infraction a cessé et que la personne lésée a pris connaissance ou peut être raisonnablement considérée comme ayant pris connaissance des informations nécessaires à l’introduction de son recours.
En l’espèce, en application de ce principe, le délai de prescription du recours en indemnisation du requérant avait commencé à courir au jour de la publication de la décision de la Commission européenne, soit le 6 avril 2017, si bien que la prescription n’était pas acquise avant l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, qui était fixé au 27 décembre 2016.
Ainsi, la CJUE a conclu que relevait du champ d’application temporel de l’article 10 « un recours en dommages et intérêts pour une infraction au droit de la concurrence qui, bien que portant sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant l’entrée en vigueur de ladite directive, a été introduit après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national, dans la mesure où le délai de prescription applicable à ce recours en vertu des anciennes règles ne s’est pas écoulé avant la date d’expiration du délai de transposition de la même directive » (point 79).
Concernant le premier alinéa de l’article 17, prévoyant que les Etats membres doivent veiller à ce que les exigences probatoires relatives à l’évaluation du préjudice ne rendent pas « pratiquement impossible ou excessivement difficile » l’exercice de l’action en réparation, la Cour s’appuie sur sa jurisprudence constante qui qualifie les règles relatives à la charge de la preuve de règles procédurales (non-substantielles). Dès lors, cette disposition à vocation à s’appliquer à toutes les actions introduites à compter du 26 décembre 2014, conformément aux dispositions transitoires issues de l’article 22 de la directive.
Concernant le second alinéa, prévoyant une présomption réfragable de préjudice résultant d’une entente, la CJUE a estimé qu’il devait « être interprété en ce sens qu’il constitue une disposition substantielle » (point 105). Ensuite, la CJUE a appliqué le raisonnement suivi pour la prescription en vérifiant si la situation était toujours en cours. Toutefois, à la différence de l’article 10, ce n’est pas l’écoulement du délai de prescription qui sert de référence mais l’existence de l’infraction elle-même au motif que « le fait identifié par le législateur de l’Union comme permettant de présumer l’existence d’un préjudice est l’existence d’une entente » (point 102). Dès lors que la situation n’était plus en cours puisque l’infraction au droit de la concurrence avait pris fin avant la date d’expiration du délai de transposition de la directive, la CJUE en a conclu que la présomption n’était pas applicable.