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16/9/24

Intelligence Artificielle Générative : l’Autorité de la concurrence rend un avis sur les risques concurrentiels

Depuis la création de l'agent conversationnel ChatGPT en novembre 2022 par l’entreprise OpenAI, l'intelligence artificielle (ci-après « IA ») générative a pris une place centrale dans le débat public et économique, en soulevant notamment des problématiques propres à l’éthique, à la propriété intellectuelle et à l’évolution du marché du travail. L’IA générative offre par exemple de nombreuses possibilités aux entreprises en termes de création de contenus, de conception graphique, de collaboration entre salariés ou de services clients.

Dans ce contexte, l'Autorité de la concurrence (ci-après « ADLC ») a décidé, le 8 février 2024, de s'autosaisir pour avis sur le fonctionnement concurrentiel du secteur de l'IA générative, dans le but de fournir aux acteurs du secteur une analyse concurrentielle du fonctionnement de ce marché en plein développement. Le 28 juin 2024, l’ADLC a finalement rendu son avis, se concentrant plus particulièrement sur les stratégies mises en place par les grands acteurs du numérique afin de consolider leur pouvoir de marché à l’amont de la chaîne de valeur de l’IA générative.

Plusieurs risques d’abus ont ainsi été identifiés à l’amont de la chaîne de valeur de l’IA générative, reposant notamment sur : (i) des difficultés d'accès aux composants informatiques nécessaires à l’entraînement des modèles de fondation, (ii) des risques de verrouillage par les grands fournisseurs de services cloud, (iii) des préoccupations de concurrence concernant l’accès aux données, (iv) des risques liés à l’accès à une main-d’œuvre qualifiée, et enfin (v) des risques concurrentiels liés à des modèles en accès libre.

1. Les composants informatiques : un goulot d'étranglement pour l'entraînement des modèles d'IA générative

Les processeurs graphiques (GPU) et les accélérateurs d’IA sont essentiels pour l'entraînement de modèles d'IA générative, car ils permettent d'effectuer simultanément de nombreuses opérations complexes. Le marché des GPU, largement dominé par Nvidia qui détient plus de 80 % des parts de marché, est proche de la pénurie, la demande dépassant largement l'offre.

L’ADLC souligne dans son avis plusieurs préoccupations exprimées par les acteurs du secteur, notamment sur le risque de prix abusifs, de restrictions d'approvisionnement et de pratiques discriminatoires. Une inquiétude particulière concerne la dépendance envers le logiciel CUDA de Nvidia, indispensable pour utiliser pleinement les GPU, ainsi que les investissements de Nvidia dans des fournisseurs de cloud spécialisés comme Coreweave. De tels partenariats permettent à ces fournisseurs d'offrir des GPU à des tarifs bien inférieurs à ceux des fournisseurs de cloud généralistes, ce qui pourrait fausser la concurrence sur le marché du cloud.

2. Le marché du cloud : un risque de verrouillage par les hyperscalers

Le marché du cloud, crucial pour le développement de l’IA, est largement dominé par quelques grands acteurs, appelés hyperscalers, tels qu'Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure, et Google Cloud Platform. L’ADLC met en garde contre les risques de pratiques anticoncurrentielles qui pourraient découler de cette domination.

En effet, deux formes de verrouillage préoccupantes sont identifiées. D'une part, le verrouillage financier, qui se manifeste lorsque les hyperscalers proposent des crédits cloud attractifs aux start-ups, les incitant ainsi à rester exclusivement dans leur écosystème et rendant difficile toute migration vers d'autres fournisseurs en raison des coûts et des obstacles techniques. D'autre part, le verrouillage technique, qui survient lorsque les solutions propriétaires offertes par des fournisseurs limitent la possibilité de transférer des modèles d'IA créés sur leurs plateformes vers d'autres, contraignant ainsi les utilisateurs à rester captifs.

De plus, l'intégration verticale, par laquelle certains hyperscalers développent leurs propres puces et modèles d'IA, renforce ce verrouillage et pourrait conduire à des pratiques d'auto-référencement ou de discrimination, faussant ainsi la concurrence.

3. L’accès aux données : un enjeu crucial pour la concurrence dans l’IA générative

Le développement de modèles d'IA générative dépend fortement de l'accès à de grandes quantités de données de qualité. Si le fait pour une entreprise de posséder ces données n'est pas anticoncurrentiel par son objet, des effets anticoncurrentiels peuvent néanmoins survenir lorsque cette même entreprise contrôle l'accès à ces données de manière discriminatoire ou exclusive.

Par exemple, une entreprise dominante, comme un moteur de recherche, pourrait refuser ou limiter l'accès à ses données aux nouveaux acteurs, favorisant ainsi ses propres services ou ceux de ses partenaires. De plus, elle pourrait imposer des restrictions contractuelles empêchant ses partenaires de partager ces données avec des concurrents, ou accorder des droits exclusifs en échange d'autres services. Ces pratiques auraient pour effet de verrouiller l'accès au marché pour les nouveaux entrants, les empêchant de rivaliser à armes égales avec les acteurs établis.

4. La bataille pour les talents : un enjeu concurrentiel sur le marché de l'IA générative

Le développement de modèles d'IA générative nécessite des compétences rares et spécialisées, ce qui rend difficile le recrutement et la rétention des talents essentiels.

L'ADLC met en garde contre l'utilisation abusive de clauses de non-concurrence et de non-sollicitation dans les contrats, qui peuvent limiter indûment la mobilité des travailleurs et dissuader l'entrée de nouvelles entreprises innovantes. Bien que ces clauses puissent avoir des objectifs légitimes, elles risquent de concentrer les talents dans un petit nombre d'entreprises dominantes, créant ainsi des distorsions de concurrence sur le marché du travail.

L'ADLC alerte également sur les embauches massives ou ciblées qui, si elles désorganisent des entreprises innovantes, pourraient réduire la concurrence en raréfiant les talents disponibles.

5. Modèles open-source et risques de verrouillage : l’ambiguïté de l’écosystème IA

L'écosystème open-source en IA permet à tous les acteurs d'accéder à des modèles de base pour développer et déployer leurs propres solutions à moindre coût, réduisant ainsi les barrières à l'entrée.

Cependant, l'ADLC met en garde contre certains risques : les développeurs peuvent imposer des restrictions qui limitent la concurrence, comme l'interdiction de créer des modèles concurrents ou l'imposition de licences supplémentaires, comme le fait Meta avec Llama 2. De plus, certaines entreprises pourraient utiliser l'open-source pour attirer des utilisateurs, puis verrouiller ces derniers en restreignant l'accès aux modèles, créant ainsi une dépendance (« lock-in »).

L’ADLC a donc identifié dans son avis plusieurs risques concurrentiels majeurs liés à l'IA générative, notamment du fait de la concentration de pouvoir chez certains grands acteurs du numérique, ce qui aurait pour effet de limiter l'accès aux ressources essentielles et d’entraver l'innovation. Une vigilance accrue est nécessaire pour prévenir les pratiques anticoncurrentielles qui pourraient fausser le marché et restreindre la concurrence.

Philippe BONNET / Diem TRAN / Rémi Achard
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