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Actualité
21/11/16

Être ou ne pas être ... dans la liste des œuvres protégeables

Copyright et droit d’auteur continental sont généralement présentés comme diamétralement opposés sur la question de l’accès à la protection. Dans le copyright, les œuvres sont visées restrictivement, ce qui expliquerait que le concept d’originalité soit interprété de manière beaucoup plus souple par le juge anglais ou américain. A l’inverse, la liste des œuvres est totalement ouverte dans le droit d’auteur continental (que l’on songe à notre article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle) de telle sorte que le juge ferait preuve de beaucoup plus d’exigence en matière d’originalité.

Force est de constater que cette opposition est aujourd’hui en grande partie fausse. Les concepts d’originalité se sont en effet rapprochés1. Quant aux listes des œuvres, britanniques et américains ne l’entendent pas du tout de la même manière. Le copyright américain n’a jamais considéré la liste des huit séries d’œuvres2 qu’il vise comme limitative. Cette position découle des textes eux-mêmes, de la jurisprudence et ceci est approuvé sans réserve par la doctrine. Le copyright américain est en revanche très exigeant à propos de la fixation de l’œuvre comme en témoigne, par exemple, une décision de la Cour d’appel pour le 7e circuit fédéral du 15 février 2011 ayant refusé la protection d’un jardin3.

La solution est toute autre dans le droit du copyright britannique comme le montre ce célèbre arrêt Creation Records4 rendue en 1997 sur lequel il est intéressant de s’arrêter un instant.  Précisons ici que la loi anglaise de 1988 (Copyright, Designs and Patents Act, CDPA) liste elle-même aussi huit classes d’œuvres : les œuvres littéraires, dramatiques, musicales, artistiques, audiovisuelles, les enregistrements de sons, les émissions et les éditions publiées. La catégorie dont relève l’œuvre au Royaume-Uni détermine un régime particulier : le jeu d’une exception (le fair dealing, par exemple, ne joue pas sur toutes les œuvres), l’octroi d’une prérogative … La catégorisation des œuvres n’est pas une coquetterie intellectuelle de la part de nos amis britanniques.

Ces précisions apportées, de quoi était-il question dans la décision Creation Records ? Dans cette affaire, était en cause la pochette du disque Be here Now du groupe Oasis. Pour qui ne connait pas cette pochette, la photographie représente les musiciens autour d’une piscine dans laquelle se trouve une Rolls Royce mais également toute une série d’objets  disposés à côté de ce bassin de manière assez disparate : une horloge sans aiguille, un scooter, un calendrier géant…

Cet arrangement a été pensé par l’un des membres du groupe (Noel Gallager) et reproduite par un photographe  pour la couverture de l’album. Alors même que le public n’était pas admis pour cette séance de photographies, certains fans étaient présents ainsi que, surtout, un photographe intervenant pour le compte d’un journal anglais (The Sun) qui va réaliser un cliché très proche de celui qui figure sur la pochette du disque. Cette photographie sera publiée dans le journal, sans l’autorisation des titulaires du copyright5, avec, de surcroit, une offre de vente du poster de ce cliché. La question qui s’est posée devant le juge était celle de savoir si cette collection d’objets artistiques ainsi agencés pouvait être considérée comme une œuvre par la loi anglaise de 1988 ?

La réponse du juge est négative. Selon lui, la scène ainsi représentée ne tombait dans aucune des huit catégories d’œuvres. Elle ne pouvait pas en particulier être considérée comme une œuvre artistique (une sculpture, un collage…) ou une œuvre dramatique. La maison de disque, cessionnaire des droits, obtient tout de même gain de cause sur le fondement de la notion de breach of confidence6.

Cette décision, qui a été depuis confirmée7, est en contradiction totale avec les solutions actuelles de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Rappelons, en effet, que la Cour de justice exige que les demandeurs à la protection démontrent la présence d’une création intellectuelle (et en second lieu son originalité c’est-à-dire la liberté de choix créatifs) Une interface graphique a ainsi été jugé être une création intellectuelle par la CJUE8 mais non un match de football9. Pour en revenir à l’affaire Création Records, il ne fait pas de doute que la photographie réalisée pour cet album serait aujourd’hui considérée comme une création intellectuelle. Avec cette jurisprudence de la CJUE, c’est donc  toute la catégorisation des œuvres de loi anglaise qui semble être remise en cause. Certains juges (la CJUE notamment) n’ont d’ailleurs pas hésité à le dire10.

La doctrine anglaise se montre beaucoup plus réservée11. Compte tenu de ces hésitations jurisprudentielles et de la position incertaine actuelle des britanniques, vis-à-vis du droit d’auteur de l’Union européenne, il est recommandé de démontrer que, la  création pour laquelle on demande la protection à Londres ou à Belfast, rentre bien dans l’une des huit catégories d’œuvres.

Être ou ne pas être…. Il est préférable d’y être même si ce ne sera parfois pas facile pour certaines créations atypiques12.

Jean-Michel BRUGUIERE

1 Voir ici l’une des prochaines brèves

2 Le Copyright Act de 1976 vise dans son article 102 huit classes d’œuvres protégeables : les œuvres littéraires, musicales, dramatiques, chorégraphiques, plastiques, audiovisuelles, architecturales et les enregistrements de sons.

3 Affaire Chapman Kelley v. Chicago Park District (n° 08-3701 & 08-3712) L’on peut lire dans cette décision (traduction libre) : "bien que le matériel planté soit corporel et puisse être perçu pour une durée plus que transitoire, il n'est pas suffisamment stable ou permanent pour être qualifié de “fixe”. Les semences et les plantes dans un jardin sont dans un état de changement perpétuel (...) L'essence d'un jardin est sa vitalité, pas sa fixité. Il peut subsister de saison en saison, mais sa nature est celle d'un changement dynamique". Le droit d’auteur continental ignore en grande partie cette exigence de fixation. La restauration d’un jardin, pour rester sur cet exemple, a été ainsi jugée protégeable. CA Paris, 11 févr. 2004, D. 2004. 1301, note S. Choisy.

4 Creation Records c. News Group Newspapers [1997] E.M.L.R. 444 Ch D

5 Nous laisserons de côté la question de savoir qui pouvait être considéré comme le créateur de cette œuvre : Noel Gallager lui-même, auteur de l’arrangement des objets ? Le photographe ?

6 Le breach of confidence (qui est un torts cad un délit spécifique) est la violation d’une obligation de confidentialité Il y a "devoir de confidentialité" (duty of confidence) chaque fois qu'une personne reçoit une information qu'elle sait qu'elle doit raisonnablement regarder comme confidentielle. Ici les mesures de sécurité entourant l’évènement laissaient aisément penser au public présent que la prise de photographie n’était pas autorisée.

7 Nova Productions v Mazooma Games & Ors [2006] EWHC 24 (Ch), aff’d by [2007] EWCA Civ 219 à propos d’un jeu vidéo.

8 Affaire C-393/09 Bezpečnostní softwarová asociace – Svaz softwarové ochrany CJUE 22 décembre 2010

9 Affaire C-604/10, Football Dataco c. Yahoo UK CJUE 1 er mars 2012

10 Affaire C-406/10 SAS Institute Inc. v. World Programming Ltd CJUE 2 mai 2012

11 Voir notamment les développements consacrés à cette question dans l’ouvrage de référence de L. Bently et B. Sherman "Intellectual property law" Oxford University Press 4 th Edition p. 61 et s

12 Un jeu vidéo par exemple.

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