Saisie par beIN Sports d’une demande de mesures conservatoires, l’Autorité de la concurrence (ADLC) a suspendu, par décision du 30 juillet 20141, l’accord par lequel la Ligue Nationale de Rugby (LNR) avait attribué au Groupe Canal Plus (GCP) l’exclusivité des droits de diffusion des matchs du championnat de France de rugby (TOP 14) pour cinq saisons.
L’ADLC a en effet considéré que les modalités de négociation et de conclusion de cet accord étaient susceptibles de révéler une entente anticoncurrentielle entre la LNR et GCP (1), de nature à porter une atteinte grave et immédiate au secteur de la télévision payante ainsi qu’aux consommateurs et à beIN Sports (2).
L’ADLC a considéré que les droits du Top 14 sont susceptibles de constituer des droits premium pour les chaînes de télévision payante en ce qu’ils suscitent des audiences importantes et sont un moteur d’abonnements.
À ce titre, ces droits doivent être commercialisés pour une durée limitée et dans des conditions transparentes et non-discriminatoires, conformément à la pratique décisionnelle de la Commission européenne2.
En l’espèce, l’ADLC a relevé un ensemble d’éléments jugés « suffisants (…) pour considérer que l’accord [entre GCP et la LNR] est le support d’une entente dont l’objet est susceptible d’être regardé, en l’état de l’instruction, comme anticoncurrentiel ».
En effet, la LNR et GCP ont successivement :
Outre son objet potentiellement anticoncurrentiel, cet accord était susceptible selon l’ADLC d’avoir des effets restrictifs de concurrence en conférant à GCP un avantage compétitif significatif dans la concurrence qui l’oppose à beIN Sports, dont l’accès à ces contenus sportifs les plus attractifs pour les consommateurs français aurait été verrouillé pour cinq ans, ce qui aurait été susceptible de « compromettre son développement« .
« sur un marché d’acquisition de droits audiovisuels fonctionnant, pour les droits les plus attractifs, par le biais de procédures de mise en concurrence, toute pratique susceptible de faire obstacle au déroulement même du jeu concurrentiel, par exemple en réservant l’accès aux droits mis en vente au seul titulaire sortant ou, plus généralement, en empêchant certains opérateurs de présenter une offre, doit être est considérée comme grave et susceptible d’avoir des effets significatifs, en termes de structuration du secteur, au profit des opérateurs dominants ».
En l’espèce, l’atteinte grave au secteur a été jugé d’autant plus probable que :
De plus, l’accord litigieux devait entrer en vigueur dès le mois d’août 2014, de sorte que cette atteinte au secteur revêtait un caractère immédiat, d’autant plus que GCP a communiqué dès le mois de janvier 2014 sur sa détention en exclusivité de l’ensemble des droits du Top 14 pour cinq ans, suscitant de nouveaux abonnements et permettant la fidélisation d’abonnés existants.
À cet égard, l’Autorité a rappelé les constatations effectuées dans une précédente décision n° 03-MC-01 du 23 janvier 2003 par laquelle elle avait déjà suspendu les effets d’une décision d’attribution par la Ligue de Football Professionnelle à GCP des droits exclusifs de diffusion des matchs de la Ligue 1 :
« les comportements des abonnés et prospects sont déterminés par les offres de programme présentes des télévisions à péage, mais aussi par leurs offres futures ; ainsi, l’effet sur ce marché est obtenu dès l’annonce publique d’une modification de l’offre des diffuseurs et sans qu’il soit besoin d’attendre les changements effectifs de programme (…) le flux des abonnements et des désabonnements étant un processus permanent, l’atteinte apportée aux conditions objectives de commercialisation des abonnements de TPS par l’annonce de l’attribution de l’exclusivité des droits du championnat de Ligue 1 à Canal Plus, est immédiate et perdurera tant que cette attribution sera considérée comme définitive par le public et sera d’autant plus grave que la rigidité des mécanismes d’abonnement rendra très difficilement réversibles les pertes enregistrées pendant cette période ».
Or, les droits du Top 14 apparaissent, pour beIN Sports, comme un relais de croissance important, susceptible de conforter son statut de chaîne premium capable de continuer à recruter de nouveaux abonnés et de fidéliser les abonnés existants.
En réponse à GCP qui faisait valoir le dynamisme de beIN Sports, l’ADLC a rappelé sa pratique décisionnelle constante selon laquelle :
« une pratique d’éviction peut avoir pour objet et pour effet de retarder l’entrée d’un concurrent sur le marché et être condamnable à ce titre, quand bien même ce concurrent verrait ses parts de marché progresser. Il n’est donc pas nécessaire de constater une baisse des parts de marché du saisissant ou d’identifier un risque de sortie prochaine du marché pour démontrer l’existence d’un dommage grave ».
L’ADLC a pris de soin de préciser que ces injonctions étaient conformes au 3ème alinéa de l’article L. 464-1 du code de commerce – les mesures conservatoires « peuvent comporter la suspension de la pratique concernées » – et à sa pratique décisionnelle comportant plusieurs précédents de mesures conservatoires consistant dans des injonctions de limiter dans le temps la durée de contrats déjà signés, ou de suspendre leur exécution jusqu’à l’intervention de la décision au fond.
1 Décision 14-MC-01 du 30 juillet 2014 relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société beIN Sports France dans le secteur de la télévision payante.
2 Voir notamment les décisions de la Commission européenne du 23 juillet 2003, COMP/C.2-37.398, Joint Selling of the commercial rights of the UEFA Champions League, du 19 janvier 2005, n° COMP/C-2/37.214, Joint selling of the media rights to the German Bundesliga, para 23, et du 22 mars 2006, n°COMP/C-2/38.173, Joint Selling of the media rights to the FA Premier League.