Aux États-Unis, le droit de la concurrence a été encadré par deux mécanismes distincts : le « Public enforcement » qui est une action publique permettant de sanctionner les comportements anticoncurrentiels par le biais de divers moyens (enquête, injonctions, amendes…) et le « Private Enforcement » qui est une action privée visant à la réparation des préjudices subis par les victimes de tels pratiques.
En Europe, les article 101 et 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne prévoient essentiellement la sanction des comportements anticoncurrentiels. Parallèlement, la jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union Européenne considère qu' « il incombe aux juridictions nationales chargées d’appliquer, dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit communautaire d’assurer le plein effet de ces normes et de protéger les droits qu’elles confèrent aux particuliers » pour permettre à toute personne de demander réparation des préjudices issus de pratiques anticoncurrentielles (CJCE, affaire, 453/99, 20 Septembre 2001, point 25 et CJCE, affaire 106/77, 9 Mars 1977, Simmenthal).
Cependant, le dispositif européen n’avait prévu aucun mécanisme harmonisé permettant une action privée visant à la réparation des préjudices subis par les victimes de pratiques anticoncurrentielles.
Suite au livre vert de décembre 2005 [COM(2005) 672 final] et au livre blanc d’avril 2008 [COM(2008) 165 final] de politique générale sur les actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, une vaste consultation publique a débouché sur la proposition de directive de la Commission européenne du 11 juin 2013.
Le 17 avril dernier, le Parlement européen a approuvé la proposition de directive relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions au droit de la concurrence des Etats membres et de l’Union européenne.
Cette directive s’articule autour de deux axes majeurs à savoir les garanties liées au principe de réparation et les garanties processuelles de la réparation des infractions aux dispositions de droit de la concurrence.
Le droit à la réparation intégrale est le principe posé par la directive adoptée, tant du point de vue de la perte subie (« damnum emergens« ) que du manque à gagner (« lucrum cessans« ), « plus le paiement des intérêts » (article 2.2 directive). Afin de faciliter la réparation intégrale, la directive pose une présomption réfragable de l’existence du préjudice qui résulterait d’une infraction résultant d’une entente (article 17. 2)
Pour la quantification du préjudice les juridictions nationales devront être habilitées à estimer le montant du préjudice subi, conformément aux procédures nationales sans que la charge de la preuve et le niveau de la preuve requis pour la quantification du préjudice ne rende impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à réparation.
Les autorités nationale de concurrence pourront également être en mesure, si elles l’estiment approprié, d’aider à déterminer le montant des dommages et intérêts à la demande d’une juridiction nationale (article 17).
La répercussion des surcoûts est le mécanisme envisagé par la directive afin que la réparation ne prenne en considération que le préjudice subi et non les potentielles pertes répercutées par la partie lésée sur ses propres clients (Article 12 et 14).
Les juridictions nationales devront également prendre en compte les actions entamées par différents opérateurs d’une même chaîne de distribution afin d’éviter des actions en réparation ne donnent lieu à une responsabilité multiple ou à une absence de responsabilité de l’auteur de l’infraction (article 15).
La répercussion des surcoûts peut également être utilisée comme moyen de défense dont la charge de la preuve repose sur la personne du défendeur (article 13).
La divulgation des preuves dans le cadre d’une action en réparation est indispensable à la manifestation de la vérité.
La directive permet donc aux juridictions nationales lorsqu’elles le jugent utile d’enjoindre au défenseur ou à un tiers de divulguer les preuves pertinentes, y compris des informations confidentielles, qui se trouvent en leur possession, à conditions que les juridictions nationales disposent de mesures efficaces de protection de ces informations (article 5).
Pour cela, elles déterminent si la demande est proportionnée en prenant en compte l’intérêt légitime des parties et des tiers concernés. Les juridictions nationales auront la possibilité d’ordonner la divulgation des preuves figurant dans le dossier d’une autorité de la concurrence à l’exception des déclarations effectuées par les entreprises en vue d’obtenir la clémence et les propositions de transaction (article 6 et 7).
Les infractions constatées par une décision définitive d’une autorité de concurrence sont considérées comme irréfutablement établies aux fins d’une action en dommages et intérêts intentée devant la juridiction nationale correspondante. Si une décision constatant une infraction au droit de la concurrence est rendue par une autorité de concurrence d’un Etat membre, elle peut être présentée devant la juridiction nationale d’un autre Etat membre comme un commencement de preuve d’une infraction (article 9).
Le délai de prescription applicable pour les actions en dommages et intérêts est de cinq ans à compter de la connaissance de l’infraction et de l’identité de son auteur. Dans le cas où une autorité de la concurrence engage une procédure concernant une infraction, le délai de prescription est suspendu et recommence à courir à compter d’une année suivant la décision de l’autorité de concurrence de l’Etat membre (article 10).
La responsabilité solidaire des entreprises ayant enfreint le droit de la concurrence par un comportement conjoint est susceptible d’être engagée.
En effet, la directive envisage que chacune de ces entreprise est tenue d’indemniser le préjudice jusqu’à ce que la personne lésée ait été totalement indemnisée. Le cas échéant, l’entreprise qui a indemnisé pourra agir pour récupérer auprès des autres entreprises contrevenantes une contribution dont le montant est déterminé à la lumière de sa responsabilité relative dans le préjudice causé par l’infraction au droit de la concurrence (article 11).